TRACTA    

Dernière mise à jour : 26/05/2010

Précurseur de la traction avant française

Petit historique, suite...

Une histoire de copains, assez fous et assez riches pour se lancer dans la construction d'une automobile. C'est ainsi que l'on peut résumer l'aventure de Tracta.

Jean-Albert Grégoire (1899/1992)

1925

C'est l'année ou Jean-Albert Grégoire fonde sa "Société des garages des chantiers". A cette époque, avec Pierre Fenaille, qu'il a rencontré en 1924, il participe à différentes courses automobiles en tant qu'amateurs et poussé par ce dernier, Grégoire se lance dans la construction automobile. Les deux hommes conçoivent alors une voiture à traction avant, une chose inconcevable à l'époque pour les autres constructeurs ! Personne n'y croit, pourtant cette voiture mènera à la construction de la première Tracta, ouvrant ainsi la route de la traction avant moderne et exploitable. Cette révolution dans le monde automobile ne tient qu'à une seule invention, celle du joint homocinétique dont Grégoire dépose le brevet le 8 décembre 1926. Fenaille et Grégoire construiront quelques voitures mais leur but est de promouvoir les joints Tracta et de vendre les licences de fabrications à d'autres constructeurs. Pour ce faire, ils fondent la société Tracta.

Signalons toutefois que le premier à avoir inventé la traction avant est Albert Collin. En effet, ce constructeur, mais également pilote, a déposé le premier le brevet concernant ce principe et reçu la médaille d'or au Concours Lépine. Ce brevet fut déposé sous le nom d'Avant-train tracteur hyppo-mécanique. Après quelques déboires, il dut vendre ses ateliers et ses brevets qui firent la fortune de certains.
Jean-Albert Grégoire reste, pour le monde de l'automobile, le père de la traction avant, mais ses autres créations furent néanmoins aussi importantes. Mais sa première expérience dans l'automobile remonte à 1925 lorsqu'il décide avec Fenaille de se lancer dans la construction automobile. Petit rappel.

Orphelin à 7 ans, Jean-Albert fut élevé par son oncle et à 18 ans, réussit le concours d'entrée des Mines et de Polytechnique. C'est Polytechnique qui aura sa préférence. Pendant ses études, qui le mèneront au diplôme d'ingénieur, il suit des cours droit et obtient un doctorat dans cette discipline. Malgré toutes ces activités, il trouve le temps de s'investir dans le sport et devient capitaine de son équipe scolaire de rugby. Il remporte le 100 mètres aux jeux interallié 1917, et décroche  par la même occasion le titre de Champion de France. Avec ses diplômes acquis, il intègre ensuite une fabrique de métiers à tisser. On le verra également comme pilote sur Harley-Davidson mais il voue une admiration sans bornes à la course automobile. Il achètera une Amilcar CC en 1922 puis une Scap. Il vénère également Robert Benoist, le pilote qui offrit le titre de Champion du monde des constructeurs à Delage en 1927.

Après être parti pour Madagascar pour prospecter du pétrole, il revient en France et en 1925, ouvre un garage à Versailles pour devenir concessionnaire des marques Delage et Mathis. Jean-Albert Grégoire à trouver sa voie : l'automobile. Sportif, il aime à se balader au volant de petits roadster. C'est souvent qu'on le voit à bord d'une Amilcar, d'une Bugatti Brescia, d'une Salmson ou d'une Mathis. La frime est d'actualité. Il participe à de nombreuses épreuves routières, associé à un de ses amis richissime, également client, Pierre Fenaille, qu'il rencontra à Neuilly vers 1924. Tous deux participeront au Rallye Monte-Carlo de 1925. En achetant le Garage des Chantiers, une concession Mathis et Delage de Versailles. pensant de ce fait faciliter sa participation aux Rallyes. En 1926, il participe à nouveau au Monte-Carlo avec Fenaille sur Majola, puis en janvier 1927 sur Bugatti et Mathys.

Pierre Fenaille

Pierre Fenaille est issu d'une famille très riche. Le grand-père s'associa en 1865 à un négociant en fraises, puis, grâce à une nouvelle association, mit en vente la Saxoléine, l'huile de pétrole destinée à l'éclairage. En 1881, son fils Maurice Fenaille (1855-1937) entra dans l'entreprise et travailla dans la filiale Fenaille et Despaux aux Etats-unis. En 1883, à la mort de son père, il rentre en France et reprend les rênes de l'entreprise familiale. Ajoutant au catalogue l'Oleonaphtine et le Saxol, deux lubrifiants, et le Benzo-moteur, une essence pour voiture et avions, Maurice fit rapidement la fortune. Se développant grâce à l'utilisation du pétrole dans la vie courante, l'entreprise familiale devient vite la Société Anonyme La Pétroléenne. Elle fusionnera avec l'Economique. Après la perte de majorité au sein de la firme, cette dernière deviendra la Standart Oil et Cie, puis la Standard française des Pétroles en 1936, avant de devenir la Esso Standart en 1952.
Mais l'histoire de Maurice est une autre histoire. C'est Pierre qui nous intéresse. En 1916, Pierre échappe à la mort au cours d'un combat aérien au dessus de la ville de Cléry, dans la somme. Après la guerre, comme beaucoup d'anciens pilotes, Pierre s'intéresse à l'automobile. Fils de famille et ingénieur montrant de réelles dispositions pour la mécanique, il construit en véritable émule de De Dion-Bouton, une voiture à vapeur qui remporte un vif succès dans leur groupe d'amis. Sa fortune lui permet d'investir dans des voitures sportives et de participer à quelques épreuves sportives. C'est pourtant dans un tennis de Neuilly, qui appartient à sa famille, qu'il rencontra Jean-Albert Grégoire. Les deux hommes sont devenus amis, Pierre devenant également client de Jean-Albert, et ensemble, il mettent en pratique leur passion en participant au Rallye de Monte-Carlo 1925 à bord d'une Amilcar Grand Sport. Toujours en 1925, Fenaille propose à Grégoire de construire en commun une automobile, afin de pouvoir courir en compétition avec leur propre voiture. Pierre Fenaille  est un personnage qui met un point d'honneur à être original. Pour exemple, en 1926, il remporta Paris-Nice dans la catégorie 5 litres, dormant dans l'habitacle de son Coupé Farman pendant que son chauffeur conduisait.
Pierre Fenaille a les moyens financiers pour investir dans le projet, Grégoire possède la structure et surtout, les connaissances techniques et mécaniques nécessaire à la construction d'une automobile.

Las de piloter des modèles existants, les deux amis décident de construire leur propre bolide, ou au mieux, quelques "voitures de courses". Dans ce but, ils vont mettre au point un système révolutionnaire qui va leur assurer le succès.

Le joint homocinétique

L'association scellée, les deux hommes se mettent au travail et Pierre Fenaille à une idée bien précise de l'automobile à construire. Il faut une traction avant. En novembre 1925, ils débutent la construction d'un prototype. En juillet 1926, ce dernier roule. Après des études sur ce prototype, Fenaille, puis Grégoire trouvent le petit truc qui va révolutionner et rendre possible la traction avant. Il dépose alors un brevet sur son invention : le joint homocinétique. Ce brevet date du 8 décembre 1926.

Le joint homocinétique, qui permet la transmission du mouvement simultanément entre des composants du groupe motopropulseur qui ne sont pas rectilignes. Il compense les mouvements de braquage et les oscillations de la suspension. Ce joint est muni d'un double cardan enveloppé d'un protecteur en caoutchouc rempli de graisse.

Sans ce joint, la traction avant était difficile à mettre en oeuvre. En 1925, la traction avant était "dans l'air" mais les constructeurs se heurtaient à de nombreux problèmes liés à la direction et à la suspension des roues motrices. En 1926, Fenaille et Grégoire se lancent dans l'aventure et créent une traction avant extrêmement basse à quatre roues indépendantes, la Tracta Gephy. Cette voiture présente quelques solutions nouvelles, comme un moteur retourné en position centrale avant, précédé par la boîte de vitesses et le différentiel auquel sont accolés les freins et les cardans intérieurs. Les roues sont guidées par des porte-fusées pivotant et coulissant sur des colonnettes verticales avec ressorts hélicoïdaux. Après les premiers essais de la voiture, les deux compères s'engagent dans la première Coupe de l'Armistice, le 11 novembre 1926. Grégoire réalise le meilleur temps dans la course de côte mais doit faire l'impasse sur les autres épreuves après un début d'incendie sur la voiture. Au cours des sorties, aux courses de côte de La Turbie et du Mont Agel, Grégoire et Fenaille constatent que la voiture présente une excellente tenue de route et s'accroche bien en virage mais que la direction a tendance à osciller sous l'effet du couple moteur. Ce phénomène, non dangereux mais fort dérangeant, est fatigant pour les organes de direction. Ce phénomène est dû au fait que le cardan simple impose à l'arbre mené désaligné des variations de rotation qui, sur un tour, passent par deux maxima et deux minima. Pour éliminer ces variations, il faut des joints doubles, qui rétablissent une vitesse de rotation régulière. Mais il faut aussi que le joint soit compact, facile à produire et qu'il n'absorbe pas trop de puissance par frottement. Pierre Fenaille reprend le principe du cardan à noix centrale double reliant les deux fourches solidaires des arbres de transmission. Breveté, ce système sera amélioré par Grégoire, qui en perfectionnera la géométrie, les dimensions et la fabrication. Il définira une série de joints calculés en fonction des couples à transmettre. Le joint, baptisé Tracta et qualifié d'homocinétique, sera monté sur les deux premiers Type A engagés au Mans pour les 24 Heures, le 15 juin 1927.
Grégoire et Fenaille fondent la Société des Automobiles Tracta, en janvier 1927. Ils s'installent rue de Lisbonne à Paris.

Le Mans 1927

Le matin de la course, Grégoire et Fenaille, accompagnés de Boussod et Armand Bourcier, le beau frère et le chauffeur de Fenaille, se rendent au circuit des 24 Heures du Mans pour prendre le départ. Vers Arnage, la lourde Panhard de Fenaille rate un virage et finit violemment dans le fossé. Les quatre occupants sont alors hospitalisés au Mans, choqués ou blessés. Le plus gravement atteint est Pierre Fenaille qui se trouve dans le coma. Pour ne pas rater le départ de l'épreuve, Grégoire s'échappe de la clinique et rejoint le circuit. Contusionné à la tête, il rassemble ses mécaniciens, recrute par haut-parleur un co-pilote détenant une licence valide et prend le départ, malgré les réticences des officiels qui espèrent un abandon rapide. Après 20 heures de course, aidé par un pilote qui n'a jamais conduit de traction avant, Grégoire et la petite tracta sont toujours en course. Ayant accompli la distance minimale requise pour pouvoir courir l'année suivante, Grégoire à gagner son défi. A ce moment de la course, et très fatigué, Grégoire s'arrête net à la demande des organisateurs. Il ne reste alors que sept voitures en course, et Grégoire accepte la proposition des organisateurs qui lui demandent de ne faire que deux tours toutes les heures jusqu'à l'arrivée. A l'issue des 24 heures, la Tracta aura parcouru, à la stupéfaction générale, 1.687 km à 70,5 km/h de moyenne. Le Type A, premier démonstrateur de la traction avant de tourisme, a rempli son contrat en prouvant qu'elle pouvait tenir la distance et que les joints homocinétiques sont viables. Une des deux voitures construites pour cette édition du Mans 1927 est encore en état et on a pu la voir lors d'un rassemblement récent à Bagatelle. D'autres Tracta se distingueront ensuite dans cette course, aux éditions 1928, 1929 et 1930.

Côté technique, le Type A dispose d'un moteur 4 cylindres en ligne SCAP de 1.100 cm3 à soupapes en tête. Sa puissance est de 30 ch à 3.000 tr/mn et dispose d'un carburateur pour l'alimentation. La transmission est assurée par une boîte à 4 rapports. Surbaissé, bien centrée et dotée de quatre roues indépendantes, la première Tracta de production étonne au milieu des autres concurrentes des 24 Heures de 1927 car rares sont ceux qui croient à l'endurance des joints à cardan Tracta. Désormais convaincus, des constructeurs vont emboîter le pas de Grégoire et Fenaille.

L'après-course

Après la course, Grégoire s'inquiéta de l'état de son ami Pierre Fenaille. Sorti de son coma, ce dernier ne laissera pas tomber Grégoire et incitera son père à continuer d'aider son ami à poursuivre ses activités de constructeur afin de démontrer les qualités de la traction avant, de faire progresser la technique et de vendre des licences aux constructeurs et industriels. Grâce à cette aide, Tracta pourra poursuivre sa destinée. Le 18 février 1929, Charles Terres Weymann transforme une créance de 100.000 francs en apport personnel et une nouvelle société est créée. Elle s'installe au 102 rue de Colombes à Asnières. Les bâtiments de la petite usine ont subsister jusqu'à la fin des années quatre-vingt. De 1929 à 1932, les types A, B, D puis des 6 cylindres verront le jour avec une production totale qui ne dépassera pas les 200 voitures.

1927 - 1932

Entre 1927 et 1932, une centaine de voitures seulement sortiront de l'usine Tracta d'Asnières, dotées de moteurs SCAP de 1.100 cm3, ouis de moteurs SCAP 1500. Suivront des motorisations Continental et Hotchkiss. Ces derniers, plus puissants, permettront de démontrer la validité de deux concepts : la traction avant comme facteur de sécurité dynamique et le joint homocinétique Tracta qui en permet l'application à l'essieu avant d'une automobile. Comme les performances honorables dans les courses prestigieuse sont la plus efficaces des publicités, la marque s'engage systématiquement aux 24 Heures du Mans. En 1928, deux Tracta, une 1100 et une 1500 courent aux côtés de deux Alvis à traction avant. En 1929, quatre Tracta prennent le départ, dont une curieuse voiture à moteur deux temps et compresseur qui émet tant de fumée que sa mise hors course est envisagée. Elle abandonnera avant. L'année suivante, deux Tracta finissent non loin d'une Bugatti 1500. A chaque participation, les voitures remportent leur catégorie et de ce fait, font une bien utile publicité aux joints Tracta.

Au fil du temps, Grégoire s'apercevra que la tracta demandent davantage de charge sur l'essieu avant moteur et directeur afin d'augmenter l'adhérence et la motricité. Les Tracta, qui utilisent des moteurs du commerce retournés et une configuration classique moteur-embrayage-boîte-pont avant, sont encore trop centrées sur l'arrière. Grégoire se fera l'apôtre du moteur en porte à faux avant.

Donnet, Chenard & Walcker et Citroën

Après cinq ans de prosélytisme, l'idée de la traction avant commence à faire son chemin chez les constructeurs. Grégoire, à leur demande, étudiera quelques prototypes. En 1933, Si Tracta ne fabrique plus d'automobiles, son activité restera axée sur l'exploitation du brevet du joint homocinétique, dont les demandes de brevets étrangers ont débutés dès 1928. Si le brevet anglais est obtenu rapidement, celui des Etats-Unis ne le sera qu'en 1933 seulement, et l'allemand en 1936. Entre-temps, Adler et DKW auront sorti, depuis 1931, des dizaines de milliers de véhicules équipés des joints français et sur lesquels elles n'ont encore payé aucun droit. Une longue procédure suivit à l'issue de laquelle une partie des redevances seulement est réglée. Par la suite, l'armée allemande utilisera sans droits le joint Tracta, ce qui incitera Grégoire à offrir le brevet au gouvernement français à la veille de la guerre. En France, le constructeur Rosengart produit l'Adler Trumpf sous licence en 1932 et la baptise "Supertraction". Jean-Albert participe ensuite, en 1933, à la mise au point de la transmission de la nouvelle Citroën 7 à traction avant, mais pour des raisons d'échauffement dû à une modification du dessin initial du joint, celui-ci ne l'équipe que jusqu'en 1935. Ce sont onc très peu de "Traction" Citroën qui sortiront avec les joints Tracta. Certains disent qu'une mésentente existait entre l'ingénieur Lefebvre et Jean-Albert Grégoire à cause, justement, de ces modifications faites sans son consentement. Jean-Albert ne voudra pas recevoir de dédommagements pour l'aide apportés à la mise au point de la nouvelle voiture de la marque aux chevrons, ne voulant pas agir en temps que conseiller de la marque.
En ce qui concerne Donnet et Chenard & Walcker, en 1932 pour l'un et en 1933 pour l'autre, ces deux marques sortiront sans grand succès des "tractions avant" sous licence Grégoire.

L'après-tracta

Jean-Albert Grégoire, après l'aventure Tracta, concevra l'Amilcar Compound pour Hotchkiss, puis la Hotchkiss Grégoire, la Socema à turbine et la Grégoire Sport. Il consacrera une grande partie de sa carrière à l'étude des véhicules électriques, jusque dans les années quatre-vingt.
Le joint Tracta de Grégoire et Fenaille, lui, sera utilisé dans l'industrie automobile mais également sur des machines fixes, des sous-marins et des véhicules militaires anglais et américains lors de la Seconde Guerre mondiale. Ils seront d'ailleurs utilisés sur la Jeep Willys.