STUTZ    

Dernière mise à jour : 26/05/2010

Le défi à Bentley

Petit historique

Dans le domaine des automobiles américaines de prestige, alors que des marques telles que Cadillac, Lincoln, Duesenberg, Packard ou Pierce Arrow viennent immédiatement à l'esprit, la maison Stutz a laissé un souvenir relativement et injustement confidentiel.

Harry Clayton Stutz (1876/1930)

C'est en 1911 que Harry Clayton Stutz, installé à Indianapolis, construit une voiture pour courir la première édition des 500 Miles d'Indianapolis. Terminant 11e sur les 44 engagés, il décide de renouveler l'expérience. La participation aux 500 Miles influence certainement la naissance de la Stutz Bearcat, une fameuse sportive qui acquiert rapidement une excellente réputation au sein des amateurs de performances américains. En 1915, l'Escadrille blanche Stutz domine la compétition aux Etats-Unis. Entre-temps, la production des voitures à moteurs quatre et six cylindres a débuté, depuis 1912. En 1915, Erwin "Cannonball" Baker bat le record de la traversée des Etats-Unis au volant d'une Bearcat, à la vitesse moyenne de 22 km/h.

              

Harry Clayton à 16 ans et à droite, en 1910 sur une Marion Racer pilotée par Adolph Monsen

Earl Cooper aux qualifications des 500 miles d'Indianapolis en 1919

AA Black Hawk
Forte d'une réputation sportive acquise dès 1911 à Indianapolis, la marque Stutz échappe à son créateur dès 1919. Il semble que Harry Stutz se lasse du devenir de son entreprise. En 1922, la marque fait faillite, et est reprise par un spéculateur, magnat de l'acier. En 1925, Frederick Ewan Moskovics, un ingénieur de talent, né à Budapest et formé en Allemagne au sein de la Daimler Motoren AG, s'installe à la présidence de la Stutz Motor Co. Moskovics a fait carrière dans l'automobile, les pneumatiques et les taxis. Sa nomination assure la prospérité de la firme, un moment menacée. Un bureau d'études est formé par Moskovics, qui engage Edgard S. Gorell, un "ancien" de chez Marmon, et Charles "Pop" Greuter. Ces derniers dépensent le budget de un million de dollars alloué à l'étude d'un magnifique 8 cylindres en ligne à arbre à cames en tête, qui s'abrite sous le long capot de la Stutz Model AA, dite Safety, exposée au Salon de New York de 1926. La version Speedster fut baptisée Black-Hawk.

John Wayne et Maureen O'Hara en 1914 à bord d'une Stutz Bearcat
Sportive par excellence, mais rustique, la Stuz Bearcat vieillit et disparaît en 1922. Les luxueuses européennes (Rolls-Royce, Hispano, Isotta-Fraschini, Mercedes, etc.) ont un marché outre-Atlantique, malgré les Packard, Peerles, Cadillac et Chrysler. Leurs raffinements mécaniques séduisent une certaine clientèle, alors que les constructeurs américains jouent la carte de la robustesse et de la simplicité, gages de fiabilité. Le nouveau patron de Stutz voudrait bien produire une américaine de style européen qui soit aussi dotée d'une mécanique raffinée et susceptible de redorer l'image sportive que la marque possède toujours aux Etats-Unis. Un ingénieur belge, Paul Bastien, est embauché pour étudier un moteur à 8 cylindres en ligne et arbre à cames en tête entraîné par chaîne (solutions rare à l'époque). Avec 4,8 litres et 2 soupapes par cylindre, ce groupe dit "Vertical Eight" donne 92 ch à 3.600 tr/mn. Les nouvelles Stutz rencontrent un bon succès dès 1926, avec près de 5.000 voitures vendues, et deviennent les "Hispano-Suiza américaines" du fait de la ressemblance des moteurs. En plus de sa mécanique sophistiquée, la Stutz Model AA se dote d'un châssis surbaissé intégrant des marchepieds faisant office de protection latérale et un vitrage en glace sécurit. Au Salon de Paris 1927, Moskovics relève le défi lancé par Charles T. Weymann, dont il a acheté la licence des carrosseries souples : un match à la distance entre une Hispano et une Stutz sur 24 heures sur la piste d'Indianapolis. L'enjeu du pari : 25.000 $.
Le match a lieu le 18 avril 1928. L'Hispano est une 32 CV Sport à moteur 6 cylindres 8 litres. les voitures ont une carrosserie légère type Weymann. Les vitesses se stabilisent à 120 km/h environ. Dès le 58e tour, la Stutz casse une soupape et perd 58 mn. Au 240e tour, elle casse une bielle. Elle repart après réparation (autorisée). Au 331e tour, nouvelle casse de soupape sur la Stutz, qui repart avec 242 tours de retard. L'Hispano ne s'est arrêtée que pour changer de pneus et de pilote. Au 531e tour, la Stutz casse deux bielles et abandonne. L'Hispano à 1.005 km d'avance après 19 heures de course. Malgré la défaite, Moskovics accepte de vendre une Black Hawk à Weymann en vue de disputer les 24 Heures du Mans deux mois plus tard. Le châssis le plus court mesure quand même 3,33 m d'empattement ! Le moteur est poussé à 115 ch avec un double allumage. Le pont allongé, mais la boîte normale à 3 rapports est conservée, ce qui au Mans à l'époque, avec la longue ligne droite des Hunaudières, est un handicap. La Stutz bénéficie de freins hydrauliques Lockheed et de grands tambours, mais elle est lourde malgré sa carrosserie entoilée type Weymann et ses ailes minimales.

                

Le Mans 1928, la Stutz DV Black Hawk d'Edouard Brisson et Robert Bloch, engagée par C.T. Weymann et 2e au classement général
Pour piloter cette unique Stutz, Weymann a choisi Robert Bloch, ancien vainqueur des 24 Heures du Mans en 1926 au volant d'une Lorraine, et son coéquipier lors du match à Indianapolis, ainsi qu'Edouard Brisson, troisième en 1926 avec une autre Lorraine. L'opposition est constitué par trois Bentley 4,5 litres et quatre Chrysler 4 litres moins coriaces. De fait, la lutte est bientôt réduite à un duel Bentley-Stutz, qui commence par l'attaque du record du tour. Une Bentley disparaît, trop retardée par une crevaison. Une autre perd son huile et la Stutz prend la tête à minuit. Sur la Bentley la plus rapide, Barnato cravache, malgré une fuite au radiateur et, peut-être, un châssis fendu. La Bentley reprend le commandement, car la Stutz n'a plus que sa prise directe, qui saute en décélération. A l'arrivée, la Bentley a moins d'un tour d'avance sur la Stutz, dont le moteur a magnifiquement tenu dans les conditions de course les plus dures qui soient, vengeant ainsi l'humiliation d'Indianapolis.

En 1928, la 8 cylindres Stutz Black Hawk est proposée sur deux longueurs d'empattement, 333 et 343 cm, et sous vingt-huit carrosseries différentes, à des prix allant de 3.500 à 7.000 $. Une Ford Model A coûtait de 500 à 600 $.

    

Retour au Mans

Encouragé par la place d'honneur obtenue en 1928, Moskovics accepta de confier trois Blackhawk à Weymann pour les 24 Heures du Mans de 1929. Le moteur avait été réalésé à 5,2 litres et la boîte disposait de 4 rapports. Deux voitures étaient équipées d'un compresseur Roots (embrayable) logé à l'avant du vilebrequin. La vitesse de pointe était de 180 km/h et les "Bentley Boys" eurent du souci, même la grande Speed Six. La Stutz de Brisson prit feu et Chiron prit le relais, pour abandonner aux 1.000 km. La voiture de Watney-Eyston abandonna dans la nuit, et la troisième, pilotée par Bouriat et Philippe (pseudonyme de Philippe de Rothschild), finit à la cinquième place. En 1930, 1931 et 1932, les Stutz étaient des DV 32 à moteur à 2 ACT et 32 soupapes d'un type nouveau, mais le succès leur échappa toujours.
Bearcat
Paul Bastien avait créé le moteur 8 cylindres de la Stutz AA, une voiture rapide, plus européenne qu'américaine. Avec son moteur 4,7 litres, son unique arbre à cames en-tête, et son double allumage comprenant 2 bougies par cylindre, sa puissance était de 92 chà 3 200 tours/minute. Ce moteur moderne, à rendement raisonnable. Disposant d'une boîte à trois rapports, de freins hydrauliques, la AA avait également une direction à vis suspendue en dessous qui permettait d'adapter des carrosseries basses de belle apparence. En 1927, son moteur atteignait 4,9 litres, fournissant alors une puissance de 95 ch, et on ajouta une option speedster, la Black Hawk. L'année suivante on adopta la carrosserie Weyman, autre rappel de l'Europe. Le moteur fut encore poussé en 1929, jusqu'à donner ne puissance de 113 ch et on lui greffa une boîte à 4 rapports. Les speedsters Black Hawk Spécial furent deuxième au Mans en 1928, mais en 1929 ils ne dépassèrent pas la cinquième place. Ces voitures avaient des surpresseurs Roots et des servofreins à vide. Ce type fut mit en vente sous le nom de Bearcat, ce qui fit revivre u nom célèbre.
Développée à partir d'une voiture de course des 500 Miles d'Indianapolis, la nouvelle Bearcat déborde de style et de charisme et, de plus, dispose d'un moteur énorme qui la propulse au-delà des performances de ses contemporaines américaines. La Bearcat sera produite jusqu'au début des années trente, période ou la marque va s'orienter vers des modèles plus civilisés que les monstres de course. A cette époque, les 8 cylindres avaient déjà remplacé les 4 cylindres.
Le chiffre de ventes diminua et une série de modèles meilleur marché, dont on espérait qu'ils plairaient à une large clientèle, furent présentés en 1929, en même temps que les modèles déjà existants. Ces voitures avaient peu de chose en commun avec les modèles classiques, et furent baptisées Black Hawk et non Stutz. L'une avait un moteur 4 litres, 6 cylindres, à arbre à cames en-tête, fabriqué par Stutz et l'autre un bloc-moteur Continental 8 cylindres en ligne à soupapes a guides.

Bearcat SV 16 Cabriolet 1931
Matchbox
DV 32
Le lancement de la Stutz Black Hawk représente une tentative, à la manière de la Salle pour Cadillac, d'ouvrir le marché en offrant un modèle moins prestigieux, et donc moins onéreux, animé d'un 6 cylindres en ligne culbuté, ou d'un 8 cylindres d'une architecture identique mais aux soupapes latérales, fourni par la firme Continental. Mais il s'avère une idée périlleuse. Son échec commercial aux méfaits de la crise économique, va mettre la marque d'Indianapolis face à des choix stratégiques douloureux. D'autant que la concurrence s'active, Cadillac, Lincoln, Packard ou Pierce Arrow, malgré ces temps difficiles, se lancent dans une politique de luxe hystérique, symbolisée par un choix paraissant illimité de sublimes carrosseries propulsées par des mécaniques multicylindres V8, V12 ou V16. C'est donc paradoxalement durant cette saison troublée de 1931-1932 que va naître la plus prestigieuse des Stutz jamais assemblées, le Type DV 32.

      

l'idée maîtresse de l'ingénieur maison Charles Greuber est simple mais délicieusement efficace. Elle consiste à greffer deux arbres à cames en tête sur le bloc 8 cylindres qui équipait la série Black Hawk, en y ajoutant, afin d'obtenir une respiration optimale, 4 soupapes par cylindre, 2 pour l'admission et 2 pour l'échappement, soit un total de 32. D'où l'appellation du modèle DV, en langue anglaise Double Valve, autrement dit Double Soupape. La voiture possède donc un mode de distribution unique aux Etats-Unis en 1932, qu'elle partage seulement avec la légendaire Duesenberg. Le groupe développe 156 ch, soit seulement 9 de moins que le V16 Cadillac, alors que ce dernier possède une cylindrée nettement supérieure. Par ailleurs, le catalogue Stutz garde une gamme à la distribution classique logiquement dénommée SV 16. Malgré un tarif habilement ajusté, la série DV 32 ne génère que peu de commandes. Seulement 420 automobiles Stutz passent les grilles de l'usine en 1931, alors que 3.100 exemplaires ont été assemblés en 1929. En dépit de la pertinence de cette ultime proposition et d'un épais catalogue (certes totalement irréaliste) de soixante-quinze types de carrosseries, la confiance de la clientèle n'est plus au rendez-vous. En conséquence, les ateliers d'Indianapolis ferment définitivement leurs portes en 1935.

Final

Malgré la diversité des modèles, les appellations à la française (Versailles, Biarritz ou Monte Carlo), la dépression va être néfaste à la firme qui voit ses ventes chuter, 80 voitures en 1933, 6 en 1934. En 1935, la marque ne produira que deux voitures, et devra fermer ses portes. La liquidation de l'entreprise sera effective en 1939. En France, on se souviendra du passage de la Black Hawk, voiture qui termina seconde des 24 Heures du Mans de 1928.