ROLLS ROYCE    

Dernière mise à jour : 26/05/2010

Le Luxe extrême...

Petit historique, suite...

Ayant fondé une entreprise d'électricité en 1884, Henri Royce décide de construire des automobiles dès 1904. Il rencontre alors un aristocrate passionné de mécanique, Charles Stewart Rolls. Le 15 mars 1906, l'entreprise Rolls-Royce voit le jour à Manchester. Elle sera transférée à Derby en 1908.

Charles Stewart Rolls (1877/1910) et Frederick Henry Royce (1863/1933)

     

En mai 1904, trois hommes déjeunent au restaurant du Midlands Hôtel de Manchester. Le premier est un fils d'aristocrate, Charles Stewart Rolls, amateur d'automobiles et agent de marques françaises. Le second est Henry Royce, ingénieur et constructeur de matériels électriques. Le dernier est Henry Edmunds, ami des deux premiers et instigateur de la rencontre. Rolls veut vendre de bonnes voitures britanniques, Royce paraît capable de les construire. L'accord se fait dès 1904. Royce Limited produira et Rolls-Royce Distributing Limited commercialisera les voitures.

Entre 1904 et 1908, Rolls-Royce produira plusieurs modèles, à moteurs 2,3 puis 4 cylindres. Les premières furent les 10 HP, qui seront produites de 1904 à 1906, puis viendront les 15 HP (1905), les 20 HP (1905-1908), les 30 HP (1905-1906) et les Legalimit (1905-1906). La 30 HP connaîtra des problèmes de vibrations destructrices de vilebrequin et Rolls veut faire mieux. En 1906, Rolls-Royce Limited prend le relais et Henry Royce étudie une nouvelle 40/50 HP à 6 cylindres, qui doit atteindre des niveaux de qualité encore inconnus sur le marché. Quant à la Legalimit, elle fait partie de deux modèles morts-nés. L'une était destiné à respecter la limite légale de vitesse de 32 km/h avec un V8 très silencieux, l'autre est dit à moteur invisible. La Legalimit est invendable et les automobilistes veulent un grand capot, signe de la puissance de leur voiture. Dans les deux cas, la mécanique de Royce n'est pas en cause et certaines de ses conceptions seront appliquées au futur 6 cylindres en ligne qu'il développe. Ce dernier sera exposé au Salon de Londres en novembre 1906.
La 30 HP a servi de laboratoire à certaines solutions visant à réduire les vibrations torsionnelles : course courte, sept paliers, régime volontairement limité, alésage généreux pour un meilleur couple et graissage sous pression, lubrification des axes de piston et des parois de cylindre. Le soucis de fiabilité pousse Royce à prévoir un double allumage, par batterie et par magnéto. Le moteur de 7 litres donnent une cinquantaine de chevaux. Avec une boite à 4 vitesses, la 40/50 HP atteint les 100 km/h dans un silence remarquable.
Silver Ghost

Sur de la qualité de la nouvelle 6 cylindres, Claude Johnson, directeur général de Rolls-Royce, prend le châssis n0 606, le fait carrosser par Barker en torpédo léger type "roi des Belges". Il fait peindre la carrosserie en couleur argentée et fait plaquer d'argent tous les accessoires. Baptisée "Silver Ghost", ou le fantôme d'argent, la voiture est confiée aux essais "presse" au printemps 1907. Elle sera soumise à un essai public de plus de 3.000 km en n'utilisant que les 3e et 4e rapports. La voiture est alors démontée en présence des commissaires du Royal Automobile Club, qui ne constatent qu'une usure minime de certaines pièces. Elle est engagée ensuite au concours d'endurance d'Ecosse et, sans arrêter le moteur, conduite jour et nuit, elle accomplit 24.000 km en cinq semaines sous le regard attentifs des journalistes? Le démontage ne révèlera aucune usure notable du moteur ni de la transmission.

Coupé-chauffeur landaulet
Pendant quelques temps, la Rolls-Royce Silver Ghost fut la meilleure voiture au monde, et seuls les plus nantis pouvaient se l'offrir. La qualité de fabrication, sa finition suprême, sa fiabilité et son image statutaire feront sa renommée mais aussi la légende de la marque. Produite pendant presque 20 ans, elle sera livrée au quatre coins du monde, parfois modifiée pour s'adapter aux pays destinataire. C'est ainsi que nous verrons des Silver Ghost chenillées, ou des versions blindées et armées pour les besoins des armées britanniques en Afrique ou ailleurs pendant la Première Guerre.

Torpédo de tourisme ou Tourer
La notoriété de la Silver Ghost est telle que son nom servira à désigner toutes les 40/50 HP produites jusqu'en 1925. Une si longue période de production pour un même modèle de base est exceptionnelle à cette époque. Au cours de sa carrière, elle recevra trois types de suspension arrière, trois types de freins, deux moteur (7 litres e 7,4 litres), trois boites de vitesses. Les carrosseries les plus nombreuses seront les torpédos et les coupés de ville. Vers 1924, lorsque la conduite intérieure s'imposent, la Silver Ghost devient trop lourde. Royce la remplacera par la Phantom I (ou New Phantom), voiture dotée d'un moteur à soupapes en tête comme la petite Twenty née en 1922. 6.100 40/50 HP auront été produites en 18 ans, sans compter les 1.700 voitures produites aux Etats-Unis entre 1920 et 1926.

Silver Ghost 1907
Matchbox

Rétromobile 2007
Voiture de luxe silencieuse, c'est en fait une dérivée de la 40/50 de 1906. D'ailleurs, toutes les Silver Ghost sont des 40/50 au départ. Ces dernières possèdent une carrosserie artisanale mais une seule portera la célèbre carrosserie à panneaux d'argent, d'ou son nom. Ce modèle unique est toujours en état de circuler et est le 13e exemplaire de la série 40/50 "Silver Ghost". Ce terme n'a jamais été une appellation officielle, mais un terme devenu générique pour désigner ce modèle. En fait, ce modèle spécifique fut construit pour un record. Peinte en argent, baptisée "fantôme d'argent", elle va parcourir 15.000 milles entre le 1er juillet et le 8 août 1907, entre Londres et Edinbourg, avec une vitesse de pointe de 125 km/h, sans panne mécanique. Elle donnera d'ailleurs naissance au modèle "london-to-Edinburgh".

Firme en deuil

Le 12 juillet 1910 Charles Rolls, passionné d'aviation, se tue dans une démonstration aérienne.
En 1909, le moteur 6 cylindres passe de 7.036 cm3 à 7.428 cm3, gagnant 12 Ch. au passant, affichant désormais 60 au lieu de 48 Ch. En 1925, la production de cette voiture mythique s'achèvera. Elle aura transporter les plus grandes personnalités de l'époque, mais aura également prouver sa puissance en remportant l'exigeant Critérium des Alpes en 1913 dans une version Alpine Eagles. En version cabriolet, limousine, coupé de ville ou autres, la Rolls-Royce Silver Ghost deviendra vite la voiture de luxe par excellence, un titre que ses descendantes porteront au firmament de la production automobile mondiale.

1912
Matchbox

Spirit of Ectasy

En 1911, la direction de Rolls-Royce s'émut devant la brusque folie des automobilistes pour les bouchons de radiateur. Le sculpteur Charles Sykes fut commandité par la société pour produire la mascotte de chaque voiture à partir de son projet “ Spirit of Ecstasy " (l'esprit d'extase): la dame aux bras tendus retient ses voiles comme des ailes, d'où l'appellation " Flying Lady ".

Charles Sykes créa une autre mascotte, debout, les vêtements au vent, un doigt sur la bouche, dans une attitude de silence admiratif. Il l'appela "Le Chuchotement" ("The Whisper") en hommage au silence mécanique de la Silver Ghost. Mal lui en pris car la modèle de ces mascottes était sa maîtresse Eleanor Thornton. Lord Montaigu la subjugua. Il acheta la mascotte "Chuchotement" et engagea Eleanor comme secrétaire, qui devint alors sa maîtresse.

             

40/50 HP 1920
En 1914, la Rolls-Royce 40/50 HP, surnommée abusivement Silver ghost par référence à la voiture spéciale du Rallye d'Ecosse de 1907, semble justifier son sologan de "meilleure voiture du monde" bien qu'elle ne soit pas sans concurrentes. Mais la 40/50 de Derby, avec ses 7 litres, reste raisonnable, fiable et silencieuse et même économique à l'usage. Tout ce que ses acheteurs, fortunés, apprécient. En 1913, la 40/50 avait déjà évolué en recevant un moteur plus souple à course allongée, puis un radiateur plus haut, flatteur pour l'utilisateur, mais pas plus élégant, et un tube de poussée centrale à la place des deux bielles latérales. Pour rendre la conduite de la voiture plus agréable, une boîte de vitesses à 4 rapports est adoptée, avec une 4e en prise et une 1ère très courte afin que la voiture puisse démarrer dans n'importe quelle côte. Ainsi gréée, la 40/50 de 1915 est une voiture très au point, très fiable, dotée d'un système de départ à froid et, en option, du démarrage et de l'éclairage électrique. La base étant saine, Henry Royce ne peut que perfectionner "the best car in the world", notamment au niveau de la suspension arrière, qui doit rester très confortable lais mieux guider l'essieu. Pour ce faire, après avoir adopté une suspension trois-quarts elliptique, Royce est revenu en 1912 aux longs ressorts cantilever, qui reparaîtront sur le voiture de 1920, dont le moteur un peu plus poussé développe une soixantaine de chevaux à 1.500 tr/mn, mais avec une souplesse bien servie par le carburateur maison. Il reste un progrès majeur à accomplir : le freinage sur les seules roues arrière, acceptable sur des voitures légèrement carrossées, devient insuffisant sur des voitures lourdes, et surtout très inférieur aux performances des premières voitures de luxe équipées de freins avant. Sous la pression des commerciaux, Royce doit se pencher sur la question dans les plus brefs délais, compte tenu de son goût maladif pour la perfection, qui retarde parfois dramatiquement l'introduction des innovations.

La 40/50 HP est seule au catalogue de la marque en 1919. Elle se vend davantage pour sa qualité globale que pour ses performances
Royce a du pain sur la planche. Outre les moteurs aéronautiques, la direction de la firme lui a confié l'étude d'une "petite" Rolls, car si la firme fait encore confiance à sa 40/50, ses dirigeants ont conscience que ce type d'automobile est condamné à plus u moins brève échéance du point de vue de sa technique, et qu'en tout état de cause, la clientèle traditionnelle n'est plus celle de 1914. Il faut vendre à des gens qui n'ont pas de chauffeur ou qui n'en auront plus. Il apparaît en outre qu'en 1920, les progrès technique ont porté un "coup de vieux" à la vénérable Silver Ghost née en 1907 et peu modifiée depuis. Or, les nouveautés ont de quoi faire réfléchir : moteurs modernes à culbuteurs ou à arbre à cames en tête plus puissants, châssis surbaissés plus rigides, large emploi des alliages légers, héritage des fabrications aéronautiques, et freinage intégral sont à l'ordre du jour. La 40/50 n'oppose que sa qualité intrinsèque, sa souplesse et son silence. La doter de freins avant devient indispensable pour la vendre.

Méfiant et désireux d'offrir un système sans faille. Royce étudie les réalisations de la concurrence, notamment les systèmes d'assistance dits servofrein proposés par Renault et Hispano-Suiza. Il lui faut aussi renforcer l'avant du châssis, les articulations des ressorts avant et prévoir un guidage renforcé de l'essieu pour qu'il encaisse le couple de freinage et corriger la direction pour que la voiture freine bien en ligne. Méticuleux, Henry Royce ne proposera ses freins avant que fin 1924, alors que la Silver Ghost est virtuellement condamnée par son manque de performance. Les premiers essais révèlent la qualité du système, qui reprend le principe du tambour ou disque entraîné par la boîte de vitesses. Ce tambour entraîne à son tour des leviers qui agissent sur le palonnier de la tringlerie des freins en amplifiant la force appliquée. Royce et son assistant mettent des années à combiner la force du tambour Renault à la progressivité du système Hispano. En fait, la Silver Ghost à freins avant permet à Henry Royce d'expérimenter le système en vue de l'appliquer à sa remplaçante, la future 40/50 New Phantom, déjà bien avancée sur les planches à dessin.
Au début des années 20, la presse britannique essaya des Rolls-Royce 40/50 HP sans enthousiasme en vantant leur qualité, leur souplesse et leur fiabilité, mais en omettant de mesurer leurs performances, sauf dans le cas de voitures très préparées et habillées de caisses torpédo légères. A part les systèmes électriques livrés d'origine et les freins avant, les innovations ne portaient en effet que sur des points de détail.

Le moteur 6 cylindres 7 litres, né en 1906, offre toujours une étonnante souplesse
Sur le continent, la concurrence de la 40/50 HP de 1914 s'appelait Delaunay-Belleville, Mercedes ou Minerva, voire Renault et Fiat, dont les hauts de gamme puissants et fiables motorisaient la bonne société internationale. En Angleterre, même, Napier tentait de lutter contre sa vieille ennemie avec des 6 cylindres aux capacités généreuses.
Twenty
Révolutionnaire, la Twenty (20 HP) de Rolls-Royce l'a été en son temps sous la pression des circonstances, certes, mais surtout grâce au talent de son concepteur, Henry Royce, qui sut abandonner quelques solutions mécaniques surannées sans renier sa philosophie fondatrice : "the best car in the world", qu'elle que soit sa taille? La 20 HP inaugure une famille de modèles qui soutiendra l'activité automobile de la marque jusqu'en 1938.
En 1919, Rolls-Royce est devenu en quinze ans un constructeur de renommée mondiale, avec un seul et unique modèle, la 40/50 HP, plus connue sous le surnom de Silver ghost, synonyme de grand luxe et de fiabilité depuis son apparition fin 1906. Bien que la clientèle ait évolué - aux sportifs ont vite succédé les "grands" de ce monde, aristocrates, dirigeants et grandes fortune, peu soucieux de records et conduits par des chauffeurs professionnels - et que la technologie ait fait des progrès considérables pendant la Grande Guerre, la 40/50 HP a peu changé entre 1907 et 1919. Son retard est provisoirement masqué par le boom économique de 1919, dû à la réinjection des profits de guerre dans l'économie civile.

Les hausses de prix causées par l'inflation sont d'abord sans effet sur les commandes, mais la crise se précise dès 1920, et le problème se pose devant les châssis invendus : perfectionner la 40/50, face à de nouvelles rivales, ou créer un modèle plus petit pour une clientèle dorénavant privée de chauffeur. Rolls-Royce peut se fixer ces deux objectifs, car l'entreprise s'est enrichie grâce notamment à une copieuse production de moteur d'avions. Henry Royce admet la nécessité de proposer un moteur de cylindrée plus petite et consommant moins, donc de passer aux soupapes en tête. Dès 1921, deux prototypes baptisés Goshawk circulent secrètement, l'un à arbre à cames en tête, l'autre simplement culbuté. La seconde formule sera retenue pour des raisons de coûts et de silence, obsession de Henry Royce. La cylindrée définitive du moteur à six cylindres est fixée à 3,12 l. Celui-ci innove encore par son bloc-cylindres coulé en un seul bloc et monté sur un carter en aluminium, ainsi que par sa culasse démontable qui simplifie l'entretien. La puissance est volontairement limitée à une cinquantaine de chevaux, ce qui reste un peu "juste" pour un châssis de plus d'une tonne. Mais une vitesse de croisière de 70 à 80 km/h est considérée comme "suffisante" en 1922, et la qualité de construction, le choix des matières et des alliages, les tolérances de fabrication ne souffrent aucun compromis : la Twenty (20 HP de puissance fiscale anglaise) est digne de son aînée.

La carrosserie "tous-temps" était très en vogue à l'époque, et habillait souvent la Twenty
Destinée a priori aux "propriétaires-chauffeur", la conduite de la Twenty est facilitée : la boîte est désormais accolée au moteur et précédée d'un embrayage moderne à disque unique et léger, et le levier de vitesses devient central, sur la boîte. Si la Twenty fonctionne avec un allumage par batterie, elle est équipée en option d'une magnéto supplémentaire, considérée comme plus fiable à l'époque. Mais en 1922, elle n'a pas de freins avant, Rolls-Royce n'ayant pas confiance dans ce système, qui réclame d'ailleurs trop d'effort de la part du chauffeur, tant qu'un servofrein ne sera pss mis au point, perfectionnement qui apparaît fin 1925. Cette lacune ne rebute pas la clientèle, ravie d'avoir une Rolls-Royce pour la moitié du prix d'une 40/50 Silver Ghost. Le succès sanctionne vite le choix de Rolls-Royce, et la Twenty sort à près de 3.000 exemplaires entre 1922 et 1929. Mieux encore, la Twenty évoluera sous la forme de la 20/25 (1929-1936), puis de la 25/30 (1936-1938), dont les moteurs passent respectivement à 3,67 l et 4,25 l en conservant la même architecture de base. Si l'on ajoute aux 3.000 Twenty, les 5.000 20/25 et 25/30 construites, on arrive au total respectable de 8.000 "petites" Rolls-Royce qui génèrent, sinon des profits, du moins un chiffre d'affaires suffisant à la survie de la branche automobile, malgré la crise de 1931-1933.

Dans cette configuration, à caisse légère, la Twenty devient presque sportive
Autre particularité de la Twenty à son apparition : son moteur est trop refroidi par pompe et ventilateur. On l'équipe donc d'un radiateur à volets horizontaux, mais à commande manuelle, compte tenu de la méfiance de Royce à l'égard des systèmes automatiques.

Kneeling Lady

Lorsque la mascotte officielle de Rolls-Royce, la "Flyng Lady" de la 40/50, est posée pour la première fois sur le radiateur de la Twenty, sa disproportion avec le capot du nouveau modèle heurte le sens de l'esthétique en faisant apparaître la voiture encore plus petite. L'artiste Charles Sykes, auteur de la mascotte "Spirit of Ecstasy", sculptera une "Lady" plus petite pour la Twenty, avant de créer une "Kneeling Lady" agenouillée. Elle sera installée sur certaines 25/30 HP, sur la Wraith de 1938 et quelques Silver Wraith. On remit la mascotte debout sur les Silver Cloud et les Phantom V. 

New Phantom
Après la courte période de prospérité de 1920, les réalités de 1921 s'appellent inflation par les coûts, enchérissement de la main-d'oeuvre qualifiée, rétrécissement du segment de clientèle visé et concurrence déchaînée. Les automobiles de prestige qui hantent les rêves de collectionneurs et qui marquent l'histoire de leur brillant passage sont exceptionnelles, dans toutes les acceptations du terme. Une Hispano-Suiza ou une Rolls-Royce, en dehors de quelques lieux de villégiature privilégiés, sont des raretés. Et les premiers à s'en plaindre sont les constructeurs de ces machines, qu'ils produisent au mieux à quelques centaines d'exemplaires par an. Seules les marques américaines produisent en volume. Aux environs de 1925, Rolls-Royce se trouve confrontée à une concurrence multiple, tant britannique, avec Daimler, Napier, Lanchester ou Bentley, qu'européenne, avec Hispano-Suiza, Isotta Fraschini, Mercedes et Minerva, et américaine avec Packard, Peerless, Cadillac, etc. C'est beaucoup pour la firme de Derby, qui a pourtant tenté d'élargir sa clientèle en proposant dès 1922, sa petite Rolls-Riyce de 3 litres à soupapes en tête, la Twenty, destinée à être vendue à une clientèle dont le pouvoir d'achat a fondu du fait de la guerre. Mais en 1922, la grande 40/50 HP ou Silver Ghost, dont la conception remonte à 1906, peine sur son marché, malgré l'adoption prochaine de freins avant avec montage rétrospectif. Il devient urgent de la remplacer. Très occupé par les études de moteurs d'avions, Henry Royce finit par accoucher d'un moteur plus moderne que celui de la Ghost, sur lequel il a transposé les solutions déjà retenues sur la Twenty, notamment les soupapes en tête, qui doivent en principe donner un peu plus de "pêche" à la meilleure voiture du monde. Le nouveau groupe conserve une cylindrée généreuse de près de 3 cylindres recouverts d'une culasse unique en fonte. Mais l'entêté Henry Royce, perfectionniste invétéré, n'a pas pu s'empêcher, malgré toutes les injonctions de son conseil de direction visant à limiter les coûts de fabrication, de le doter de ces raffinements mécaniques qui en font probablement le moteur le plus fiable au monde : faux-châssis monté en trois points pour éviter toute contrainte résultant des flexions des longerons, amortisseurs de vibrations de vilebrequin, double allumage avec avance automatique et système différentiel sur la magnéto et le delco avec contrôle manuel, toutes commandes par tiges et leviers d'une douceur extrême, mais exempts de réversibilité, système de réglage des jeux de soupapes par excentrique sur les axes de culbuteurs permettant le réglage moteur tournant, bielles et culbuteurs percés pour le graissage, etc.

La New Phantom, un salon avec chauffeur
Bien entendu, il n'est pas question qu'un moteur à culbuteurs Rolls-Royce soit plus bruyant que le latéral de la Ghost, ni que les vibrations qui surviennent à certains régimes soient perceptibles par l'utilisateur. Le rendement du gros 7 litres est donc modestes : à peine 15 ch au litre à 2.000-28500 tr/mn. Pourtant, son couple reste généreux, avec un alésage réduit et une course allongée par rapport au moteur de la Ghost, et les 2.000 kg des plus légères torpédos accélèrent brillamment pour plafonner à 120 km/h bien lancées. Avec des carrosseries fermées, notamment d'opulentes limousines, le résultat est moins brillant, et si le conducteur s'avise de "tirer" les 3.000 tours, le 6 cylindres rugit, grogne et chauffe. Si les voitures livrées respectent le cahier des charges en matière de silence, de douceur de fonctionnement et de confort, l'usine sait très vite que les performances ne sont pas au rendez-vous, sauf sur les longues lignes droites continentales. La New Phantom n'a pas l'aisance d'une Hispano H6C, ni son freinage, ni son équilibre, ni sa précision de direction. Le châssis hérité de la Ghost a tendance à se tortiller à l'avant à grande vitesse en donnant du flou au volant. Alors l'usine va procéder à des essais systématiques en étudiant les effets du poids, de la répartition des masses et de l'aérodynamique sur le comportement routier. Et elle demandera à Henry Royce de revoir sa copie dans les meilleurs délais.

Pour les clients susceptibles d'être effrayés par le modernisme de la New Phantom, la Ghost était toujours proposée, mais avec des freins avant avec servofrein mécanique en option. Il s'agissait en fait d'écouler les stocks de châssis et de moteurs. La New Phantom, pour offrir de meilleures performances, fut proposée en châssis court et souvent carrossée en berline courte à caisse entoilée type Weymann pour les amateurs de vitesse.
Phantom II Continental
Née d'une savante évolution de la Rolls-Royce 40/50 Phantom I et II vers davantage de performance et d'agrément de conduite, la Phantom II Continental peut être considérée comme la meilleure Rolls-Royce des années trente.

Dès le début des années vingt, la Rolls-Royce Silver Ghost, malgré d'indéniables qualités, commence à perdre sa réputation de "meilleure voiture du monde" face à des nouvelles venues de conception plus moderne. Outre une puissance et des performances supérieures, les Hispano-Suiza, Packard, Daimler, Napier, Bentley, Cadillac, Lincoln se révèlent plus rapides, plus stables et plus faciles à conduire. Génial concepteur de la première 40/50, Henry Royce peine à faire évoluer sa pensée technique au lendemain de la Grande Guerre. Mais il prend son temps et les directeurs-administrateurs de la firme, au vu des résultats commerciaux, doivent le pousser à accélérer ses études nouvelles. Il commence par créer la "petite" Twenty, destinée aux automobilistes sans chauffeur, les plus nombreux dorénavant. Puis il faut doter la Silver Ghisot de freins avant, en 1924 seulement, et la firme doit en rééquiper gratuitement des centaines de voitures après avoir modifié le châssis en conséquence. Tout cela coûte cher et, alors que les ventes ralentissent mieux que les voitures, ce n'est qu'un répit technique, car la mécanique de la 40/50 remonte à dix-sept ans. En 1925, la New Phantom propose un nouveau moteur à soupapes en tête de 7,7 litres dont l'alésage réduit entraîne une baisse de la taxation appréciée par la clientèle. Or, aux essais, la New Phantom se révèle moins rapide que les plus anciennes Silver Ghost habillées de carrosseries légères. Quelques clients profitent néanmoins du fait que la New Phantom existe en châssis court (364 cm d'empattement quand même) pour se commander des berlines courtes ou des tourers destinés, comme leur nom l'indique, au Grand tourisme. Ces types de carrosserie d'allure assez sportive faites pour le voyage sont souvent qualifiées de "Continental" chez Rolls-Royce, pour les distinguer des vastes caisses construites sur châssis long. Les responsables commerciaux de la marque savent bien que la New Phantom n'est ni assez performante, ni assez agile pour tenir tête à certaines automobiles de cylindrée plus modeste. En 1929, Rolls-Royce annonce la sortie future de la Phantom II, la New Phantom devenant la Phantom I aux yeux de l'histoire. Elle bénéficie donc de solutions d'allègement bien éprouvées sur cette dernière, comme les suspensions à quatre ressorts semi-elliptiques et la poussée par les ressorts, le montage en bloc du moteur, de l'embrayage et de la boîte, un couple conique hypoïde (abaissé), un démarreur à lanceur, etc.

La grande nouveauté réside dans le moteur, presque identique au Phantom I mais doté d'une culasse en aluminium à orifices opposés et d'un taux de compression supérieur. Mieux rempli, le 7,7 litres donne 120 ch au lieu de 100 et il est entièrement graissé sous pression (selon trois valeurs), ce qui autorise des régimes plus élevés. La rigidité supérieure du châssis limite le shimmy (dandinement périodique des roues avant) et permet d'adopter des pneus plus gros. Plus performante, la Phantom II donne des idées à Henry Royce. Au fond, ce dernier n'aime pas les longues et lourdes limousines ou les coupés-chauffeurs camionesques, préférant pour lui-même les berlines courtes sans séparation, dans lesquelles les passagers arrière sont assis plus confortablement en avant du pont arrière. Sur la base de la Phantom II, il se fait construire une berline très courte en utilisant comme base la carrosserie d'une légère Riley Nine Monaco, dont il fait copier le centrage. il incline davantage la colonne de direction, abaisse les planchers, adopte un pont plus long et augmente la compression du moteur. En quatre mois, il obtient un prototype viable, en lequel les commerciaux ne croient pas. Mais les clients consultés, surtout les plus jeune et ceux qui aiment rouler, s'enthousiasment : enfin une grand Rolls-Royce qu'ils pourront conduire eux-mêmes sans complexes. La Continental de 1931 bénéficie aussi d'une boîte à 2 rapports toujours en prise, qui seront synchronisés en 1933.

Achevée en août 1930, la berlien courte prototype de la Continental fut conçue par Ivan Evernden, chef de la carrosserie chez Rolls-Royce, et construite par Barker en quatre mois, selon les directives de Henry Royce lui-même. Signe de la nouveauté des temps en matière de style, la voiture était peinte d'une laque bleu de Saxe pâle légèrement irisée par incorporation d'écaille de poission broyées. C'était le début des laques "métallisées". L'intérieur était en cuir bleu assorti et le drap de pavillon était d'un bleu très clair.
Comme tous les ingénieurs d'études, Royce s'inquiétait du poids croissant des carrosseries, qui surchargeaient ses châssis et l'obligeaient constamment à les renforcer. Il remarqua un jour une conduite intérieure dont les montants de pavillon, en alliage léger, étaient très fins. Il s'agissait d'une réalisation de la Carrosserie Park Ward, adepte de l'allègement. Evernden et Royce lui confièrent la plupart des châssis Continental et les études de style avancées, laissant à Barker les châssis et les caisses classiques. Malgré la crise, la Continental fut produite à environ 280 unités (sur 1.767 châssis Phantom II) jusqu'en 1935.
Phantom III
Après 20 ans de carrière, la Silver Ghost s'efface. La digne héritière qui doit succéder à celle qui fut considérée comme la "meilleure voiture au monde" est la Phantom. Moins silencieuse que la Silver Ghost, elle est plus puissante, atteignant les 130 km/h, vitesse encore peu atteinte par les voiture de l'époque. En 1926, la production débute également aux Etats-Unis, à Springfield (Massachusetts). Ces modèles disposent, au contraire des modèles anglais, d'une conduite à gauche. En 1929, la Phantom II lui succède, et hérite de ce fait d'un nouveau châssis plus moderne, la New Phantom, rebaptisée rétrospectivement Phantom I, disposait du châssis modifié de la 40/50 HP. Cette dernière sera produite aux Etats-Unis jusqu'en 1931.
Henry Royce décède le 22 avril 1933 à l'âge de 70 ans. A partir de cette date, le logo de la marque, deux R superposés qui symbolisent l’alliance des deux fondateurs, Charles Rolls et Henry Royce, ne sont plus imprimes en rouge mais en noir pour marquer la disparition de son dernier fondateur.
La Phantom III fut la dernière voiture sur laquelle Henry Royce travailla. Summum de douceur, on dira ensuite que les modèles qui lui succédèrent avaient perdu beaucoup de la philosophie du créateur et que désormais, rien ne serait plus comme avant. La Phantom III est aussi la dernière des grandes Rolls-Royce d'avant-guerre. Lancée en 1935, elle dispose d'un V12, qui remplace brillamment l'ancien six cylindres en ligne. Elle reçoit également une suspension avant indépendante. Sa production s'achèvera au début de la Seconde guerre mondiale en 1939. Seules 717 Phantom III furent alors construites.

Phantom III Cabriolet 1939
Solido
Les Phantom I et II, les III furent produites aux Etats-Unis. Pour beaucoup, les Phantom les plus séduisantes sont celles construites dans l'usine du massachusetts. Elles sont presque identiques mécaniquement, mais elles sont beaucoup plus élégantes que les modèles britanniques. cependant, quelques américains fortunés, très attachés au standing et soucieux du prestige de la marque, commanderont leur voiture à l'usine de Derby. Certains iront jusqu'à faire venir un chauffeur formé dans la Rolls-Royce Chauffeur's School située à Crewe Cheshire. A savoir qu'aujourd'hui, l'inscription dans cette école de prestige coûte environ 3000 euros pour une formation de quelques semaines. Depuis 1919, moins de 7.000 chauffeurs ont obtenus le fameux diplôme très convoité.
Notez que si vous achetez une Phantom III, vous achetez d'abord un châssis nu. Vous devez ensuite choisir parmi les grands carrossiers pour lui offrir un habit digne de son nom.

Insolite

En 1980, Thierry de Montcorgé déjeune avec son ami Jean-Christophe Pelletier et le journaliste de l'émission Auto-Moto, Jean-François Dunac. Au cours de ce repas, il évoquent l'idée de participer au Dakar 1981 à bord d'une voiture de prestige. Le lendemain, Montcorgé présente son idée à cinq sponsors, dont la marque Dior. Cette dernière, désireuse de promouvoir son nouveau parfum pour hommes, Jules, accepte le défi. La voiture choisie sera à la hauteur, une Rolls-Royce Silver Shadow. En fait, il s'agit d'une carrosserie en fibre de verre reproduisant la ligne du coupé, le tout monté sur un châssis de Toyota. Le moteur est un V8 Chevrolet. Si l'aventure tourna court, Dior en tirera une grande satisfaction, les retombées presse représenteront six fois le montant investi par la marque. Bravo "Jules".

Proto Jules de Thierry de Montcorgé au Dakar 1981
Norev