MATHIS    

Dernière mise à jour : 12/05/2010

Du côté de Strasbourg

Petit historique

Emile Ernest Mathis débuta chez De Dietrich entre 1902 et 1904, avec un de ses amis, un certain Ettore Bugatti. A cette époque, Bugatti développait les modèles de la marque, Mathis se chargeait de les commercialiser. En 1904, il fonde la Mathis and Co et embauche Ettore. Il fonde dans le même temps la EEC Mathis pour devenir distributeur d'automobiles de différentes marques. Les premières voitures des deux associés sont les Mathis Hermes Simplex, des voitures de 40, 60 et 90 HP. L'association durera jusqu'en 1907.

Emile Ernest Charles Mathis (1880-1956)

Strasbourgeois, né le 15 mars 1880, Emile Mathis est fils d'hôtelier et on père tient l'Hôtel de Paris de la capitale alsacienne. Après un apprentissage en Angleterre, il débute en 1898 sa carrière professionnelle au sein de la firme De Dietrich, ou il rencontra Ettore Bugatti, avec qui il travaillera jusqu'en 1908. Pour Dietrich, Mathis s'occupa des voitures conçues par Bugatti pour la marque. Remercié en 1904, comme Ettore, Emile investit ses économies pour créer la firme Mathis and Co à Strasbourg et fait appel à Ettore Bugatti pour l'aider dans cette nouvelle aventure. Dans le même temps, il fonde la société ECC Mathis en vue de devenir distributeur d'automobiles de diverses marques. Son association avec Bugatti donnera naissance aux Mathis Hermes Simplex 40, 60 et 90 chevaux, dans une usine située à Graffenstaden. En 1908, les associés sont séparés et Emile fait construire une nouvelle usine à Strasbourg afin de développer son activité.
En 1910, Emile Mathis propose ses premières voitures à son nom. Une production en série débute en 1912. Ces premières Mathis sont très proches des petites Bugatti type 13. Ce n'est cependant qu'après 1918, avec la construction d'une nouvelle usine dans une alsace redevenue française, que la production Mathis monte en puissance. Comme Citroën, Emile a une excellente connaissance des besoins et des moyens des acheteurs d'automobiles. Il choisit de produire une 10 CV et une 6/7 CV de facture très classique, mais dotées, comme la publicité de la marque le souligne, "d'un châssis à cadre fermé, quatre ressorts entiers et 4 vitesses", pour bien marquer la différence avec les productions de Citroën, à la technique plus sommaire. Mathis veut produire des voitures simples et légères, bien étudiées pour la construction en grande série. La 10 CV type GM représente son premier succès commercial avec une gamme complète. Mais les progrès dans le domaine des moteurs permettent, à performance égale, de réduire les cylindrées, la consommation et les coûts d'utilisation, donc de conquérir une nouvelle couche de clientèle.

Années 20

Emile Mathis avait déjà engagé une voiture en Grand Prix lors de l'épreuve de 1913 disputée à Amiens. Il s'agissait de la plus petite cylindrée (1,5 litre) et de la plus faible puissance (45 ch.) de toutes les voitures engagées. Trop faible sur le papier, même pour espérer une place d'honneur, Mathis jouait sur le poids réduit de sa voiture (800 kg contre 1 tonne pour les autres). Confiée à Esser, la Mathis peinte en blanc, car elle courait sous la couleur allemande, dû abandonner au sixième tour.
1500 Sport Course
Pour le premier Grand Prix disputé sur le circuit routier tout neuf de Montlhéry, Mathis engage de nouvelles voitures dans l'épreuve réservée aux types de tourisme qui comporte plusieurs catégories. Ses rivaux s'appellent Bugatti et Talbot. Depuis le Grand Prix couru à Strasbourg en 1922, l'ACF organise parallèlement à l'épreuve de vitesse un Grand Prix de Tourisme réservé à des routières classées en fonction de leur cylindrée. Quatre catégories (1.500 cm3, 3 litres, 5 litres et 8 litres) sont prévues en 1925. Emile Mathis choisit de construire des voitures de 1,5 litres. Comme souvent dans ce genre d'épreuve qui se propose de réunir des voitures proches des types de série, les machines sont souvent de pures voitures de course déguisées en autos de tourisme par montage d'ailes, de phare et d'une capote. Ces appendices ne font qu'ajouter du poids et de la résistance aérodynamique, tandis que la seule condition intéressante pour les techniciens et notamment les motoristes est la limitation de consommation en fonction de la cylindrée. Dans le cas des petites cylindrées, dont les moteurs développent un couple limité, la question de l'aérodynamique est importante pour gagner en vitesse de pointe. En 1.500 cm3, imitant son ancien associé Ettore Bugatti, Mathis a fait étudier un nouveau moteur très calqué sur celui de son collègue alsacien. Il s'agit d'un 4 cylindres de 68 mm d'alésage et 100 mm de course (à 1 mm d'alésage près semblable au type 37 de Bugatti) et doté d'une distribution à un arbre à cames en tête, mais entraîné par chaîne. Cette solution est rare à l'époque, car la chaîne, longue dans ce cas, est alors accusée de fragilité et d'imprécision. L'allumage (deux bougies par cylindre) est confié à un delco et l'alimentation à deux carburateurs Solex. La puissance développée, 45-48 ch. à 4.500 tr/mn, semble nettement inférieure à celle du Bugatti type 39 (8 cylindres 1.500 cm3) donné pour 60 ch. à 5.000 tr/mn et à celle du 1500 Talbot (à 2 ACT) crédité - de façon peut-être optimiste - de 75 ch. à 5.500 tr/mn.
Fidèle à ses principes, Mathis adopte un châssis très surbaissé, doté de quatre ressorts semi-elliptiques. Les longerons très resserrés passent à l'arrière sous le pont, lui-même très étroit et sans différentiel afin d'enfermer les roues dans la caisse à la façon des tanks en ouvrant des fentes de ventilation pour les freins. La carrosserie très profilée doit améliorer la vitesse de pointe. Les ailes avant très enveloppantes (obligatoires) tournant avec les roues et les projecteurs sont placés au bas du radiateur, intégrés au maître couple. La forme générale fuselée en projection horizontale est proche de celle des Bugatti, mais la longue pointe surbaissée doit être efficace. L'essieu avant est un Perrot-Piganeau commandé par câbles et biellettes. Trois voitures sont engagées après des essais prometteurs sur le béton tout neuf du circuit routier. Les pilotes sont Bocchi, Ivanowsky et de Brémond. Les autos de 1.500 cm3 doivent parcourir soixante-seize tours du grand circuit de Montlhéry en ne consommant pas plus de 114 litres au total, soit en moyenne 12 litres au 100 km.

     

Les Mathis 1500 Sport compétition surbaissées de Bocchi (n° 18) et de Ivanowsky (n° 21)
La longueur du GP de tourisme (950 km) impose le samedi, veille du GP de Vitesse, un départ à 9 h du matin dans un autodrome encore désert. Le public, de toute façon, s'intéresse peu à ce type d'épreuve aux classements compliqués (un classement général et quatre classements de catégories) et au déroulement monotone. Une 1500 Talbot mène dès le premier tour, mais la Mathis de Bocchi se maintient en quatrième position et deuxième des 1500. c'est au vingtième tour, au bout d'environ 240 km, que la malchance frappe : les radiateurs se dessoudent et les trois Mathis, irréparables, doivent abandonner. On ne les reverra pratiquement pas sur les circuits et elles disparaîtront à Strasbourg sans que l'on connaisse leur sort. Dommage pour Mathis, qui a fait un bel effort technique en adoptant des solutions d'avant-garde.

La Mathis 1500 Sport du GP Tourisme de 1925 derrière une Bugatti, pure voiture de course hâtivement habillée en tourisme
Le Grand Prix de Tourisme rassemblait des marques comme Peugeot, Steyr, Cottin-Desgouttes et, en 1.500 cm3, Bugatti, Talbot, Mathis et EHP (ces dernières dotées de moteur CIME 1.500 cm3 à ACT de 40 ch. environ). Les Bugatti Type 39 à 8 cylindres, étroitement dérivées du Type 35 Grand Prix, prirent facilement les quatre premières places à 84 km/h de moyenne, la victoire absolue revenant à une Peugeot 174 S sans soupapes pilotée par André Boillot à 85,8 km/h de moyenne.
MY
Grâce à leur bon rapport qualité/prix, la Mathis MY et sa dérivée MYN vont connaître le succès de 1927 à 1931. Mathis est alors le quatrième constructeur français et ses usines sont parmi les mieux équipées.
En 1925, son usine était considérée comme l'une des plus modernes d'Europe, avec un grand hall de montage final de 700 m de long, alimenté par cinq halls de fabrication annexes. Mathis employait alors 6.000 ouvriers sur 20 hectares, dont 8 couverts.
Au début de l'été 1926, Mathis présente une 8 CV de nouvelle génération, la MY. Ce type de 4 cylindres économique attaque directement les Citroën B12/B14 en offrant, grâce à une boîte à 4 rapports et à une masse à vide inférieure, des performances routières plus brillantes. En fondant sa production sur un type intermédiaire unique, comme Citroën, Mathis cherche à atteindre des cadences de production de 100 voitures et plus par jour. Il y parviendra. La MY n'innove pas sur le plan technique de fabrication et de poids. La cylindrée a été limitée à 1,2 litre, mais le poids du châssis a été maintenu aux environs de 600 kg. Habillé de carrosseries légères, souvent du type Weymann entoilé pour les conduites intérieures, la MY atteint 80 km/h grâce à sa boîte à 4 rapports. Plus que jamais, Mathis justifie son slogan "le poids, c'est l'ennemi", déjà amplement utilisé par Michelin. Le cadre du châssis, convenablement renforcé au niveau de l'auvent, n'a que trois traverses et le pont arrière type banjo, dont les tubes travaillent peu, a pu être allégé. Néanmoins, ces gains de poids ne sont pas obtenus au détriment de la robustesse, comme en témoignent les nombreux dérivés utilitaires qui vont assurer des services très durs jusque dans les années cinquante. La 8 CV MY devient donc le cheval de bataille de la firme strasbourgeoise à partir de 1927, malgré l'énorme succès de la Citroën B14, pourtant légèrement plus chère (28.000 francs contre 27.000 pour la Mathis). En 1928, la coûteuse magnéto est abandonnée en faveur d'un allumage par batterie.
Parfaitement adaptée à la demande, la MY sort en très grande série d'une usine moderne, où Mathis applique les méthodes d'assemblage empruntées à Ford. Cette voiture, qui sera le modèle Mathis le plus produit, sert de base à des modèles dérivés ou déclinés tout en évoluant profondément jusqu'en 1934.

La Mathis MY de 1927 en conduite intérieure

La Mathis MY en version torpedo
Emysix
A partir de 1927, le succès de la MY incite Mathis à voir plus grand. Ses fréquents séjours aux Etats-Unis, où la surchauffe économique due au crédit se traduit par des volumes phénoménaux qui le fascinent, le poussent à créer des 6 cylindres légères, puis des 8 cylindres produites confidentiellement. Les premières 6 cylindres 2 litres, qui dérivent de la MY, et baptisée Emysix, s'inscrivent dans cette tendance venue d'outre-Atlantique vers 1926, qui donnera le jour, entre autres, à la Renault Monasix, à la Citroën C6, à la Peugeot 12-Six, voire au projet Salmson SS non abouti. L'Emysix est une voiture plus économique et plus légères due les Citroën C6 et autre Peugeot 12-Six. Mais comme s'il avait flairé dans cette course à la puissance les prémices de la crise du début des années trente, il crée en 1930 une excellent petite 6 CV fiscaux, la PY. Cette voiture est dotée de freins hydrauliques, une première en Europe sur une voiture de cette catégorie. Cette étude intéresse l'industriel américain W. Crapo Durant, mais la dépression américaine met un terme au projet de produire 100.000 exemplaires de la "voiture qui a étonné l'Amérique". Cependant, ce modèle économique se révèlera bien adapté aux conditions difficiles du marché français de 1931 à 1934, surtout dans la version TY de 5 CV fiscaux. LA PY accompagne les évolutions de la MY : la MYN de 1929, puis la remplaçante, la très moderne Emyquatre (ou EMY4), qui assurera le gros de l'activité de Mathis jusqu'à l'union avec Ford en 1934.
Emy 4
En présentant l'Emy 4 au Salon de Paris en 1932, Mathis est totalement en phase avec l'évolution de la technique face aux demandes d'un marché en crise : des automobiles économiques à l'achat comme à l'emploi, d'un bon confort et faciles à conduire.
De 1925 à 1930, l'évolution du marché automobile est rapide. La notion de luxe, déjà essoufflée et mise à mal par les grands constructeurs, va connaître une crise fatale à beaucoup de marques prestigieuses. Les sportives nées du cyclecar en 1920 sont au bout de leurs performances. Le marché, celui pour lequel ont travaillé les Ford, les Austin et les Citroën, veut du confort, de la facilité de conduite, de la sécurité et de la sobriété. Finis les boudoirs à roulettes et les monstrueuses cylindrées à peine plus performantes qu'une bonne 2 litres. Le norme de la voiture familiale économique (quatre portes, quatre places avec malle intégrée ou en option et 90 km/h en pointe) se situe alors au niveau de la "8 CV fiscaux", soit en France une auto d'une cylindrée comprise entre1,3 et 1,5 litre et d'une puissance au frein d'une trentaine de chevaux. Emile Mathis a su anticiper cette tendance dès le millésime 1927 avec les premières MY 1,2 litre taxées pour 7 CV. Leur succès, important jusqu'en 1930, fait de Mathis le quatrième constructeur français. Il leur faut alors une remplaçante à opposer aux types nouveaux que préparent Citroën et Peugeot : la 8 CV Rosalie, animée par un nouveau moteur, et la 301, extrapolation de la 201, rivale directe de la MY. Ces voitures de crise apparaîtront au Salon de Paris 1932. Capitalisant le succès commercial de la MY, qui lui permet de construire une très belle usine à Strasbourg, Emile Mathis marque la continuité de sa 8 CV en baptisant Emy 4 sa nouvelle voiture moyenne.

Sur la base de la MY, Mathis dérive l'Emyquatre de l'année-modèle 1933, une nouvelle 8 CV. Fidèle à ses principes de chasseur de poids inutile, il conserve un châssis léger, Tubex, rigidifié par l'emploi de longerons tubulaires avec semelle soudée. Le moteur est un nouveau trois paliers de 1.445 cm3, capable de donner 39 ch à 3.700 tr/mn, soit davantage que ses rivaux immédiats, 32 ch pour le 8 de Citroën et 34 ch pour le 301 de Peugeot. Et pour donner un peu plus de brio à cette 8 CV. Mathis la dote d'une boîte à 4 rapports (3 seulement chez Citroën et Peugeot), dont les deux supérieurs, silencieux, peuvent être synchronisés, le tout complété d'une roue libre (en option !) destinée à économiser le moteur et le carburant. Fin connaisseur de l'industrie automobile américaine, Emile Mathis a vu comment la GM, puis Ford (surtout Edsel Ford) commençaient à se soucier du style pour vendre plus facilement des produits désormais fiabilisés susceptibles d'attirer une clientèle nouvelle. A partir de 1933, et comme ses concurrents, Mathis va essayer d'introduire sur son cheval de bataille, l'Emy 4, les roues avant puis les quatre roues indépendantes, les carrosseries surbaissées aérodynamiques, notamment la version optionnelle Dynamic avec des carrosseries larges (132 cm à l'intérieur) sans marchepied. Les autres carrosseries sont classiques, avec caisse carrée et grands marchepieds. La version Dynamic, à flancs lisses pour une meilleure aérodynamique, très spacieuse, avec glaces agrandies pour une meilleure visibilité, notamment à l'arrière, des portes "inclinées extra-larges" facilitant l'accès à bord et un centre de gravité abaissé, est vendue comme une quatre/six places, ce que la Rosalie et al 301 ne peuvent offrir, prisonnières d'un cadre de châssis étroit.

De 1932 à 1934, Mathis expérimente tous azimuts dans le domaine des suspensions : système Brouilhet à "chandelles" télescopiques (ancêtre du système McPherson) et barres de torsion transversales système Porsche comme sur la future Volkswagen. Ces coûteux équipements sont proposés en option, mais al production est infime. Mathis en réalité fait parler de lui dans la presse et soutient le cours de ses actions tandis qu'il discute avec Edsel Ford. En 1933, l'Emyquatre reçoit donc une suspension avant radicalement moderne sous sous forme d'un essieu à roues indépendantes système Porsche-Mathis à barres de torsion transversales analogue à celui de la future Coccinelle, mais avec des amortisseurs hydrauliques intégrés. A la fin de l'année, Mathis propose même en option une suspension à quatre roues indépendantes, sur l'Emyquatre Quadruflex à barres de torsion longitudinales à l'arrière et amortisseurs à double effet. A l'époque, le type Quadruflex est l'un des châssis les plus modernes du monde, mais la crise a durement frappé Mathis, qui a trop diversifié sa production. Il semble qu'il ait manqué à Mathis un moteur moderne à soupapes en tête à grand rendement.

La crise est donc bien installée et Mathis doit chercher un partenariat. En attendant, il multiplie les types et les modèles en mélangeant moteurs, châssis et caisses, adopte des moteurs américains 6 et 8 cylindres sur des types de luxe vendus en très petite quantité, en tire ses propres versions, trop coûteuses, et joue la carte du style pour l'année modèle 1934 : nouvelle calandre plus arrondie, bouchon de radiateur sous le capot, ailes à jupes, pare-brise incliné, bicolorisme et malle arrière intégrée accessible de l'intérieur (erreur très répandue).
Emy 4 légère
En 1934, pour proposer un modèle plus accessible, Mathis lance l'Emy 4 "Légère" à côté de la "Confort". Plus étriquée, perdant son avantage d'habitabilité, elle séduit peu d'acheteurs malgré son prix inférieur à 20.000 francs. C'est une époque confuse pour Mathis, en quête d'un repreneur que sa belle usine pourrait intéresser. Malgré son association avec Ford en 1934, et la création de Matford, Mathis n'abandonne pas pour autant ses anciennes voitures. L'Emy 4, devenue une 9 CV (normale à 21.900 francs et Légère à 17.900 francs) avec un moteur porté à 1,52 litre est encore produite. Les carrosseries sont retouchées, mais la production s'étiole. La dernière Emy 4 tombe de chaîne en novembre 1935, laissant la place aux Matford Alsace V8.
FH
En 1925, Mathis étudia une 8 cylindres en ligne de 1,7 litre et 35 ch. à un arbre à cames en tête, imitant ainsi son ami Bugatti. D'un coût trop élevé, cette éphémère LH ne fut pas produite.
EMY 8
Comme ses collègues constructeurs, Emile Mathis, porté par la croissance des années 1926-1929, s'engage sur le marché du luxe avec les Emysix de 1928, puis les "huit" qui apparaissent en 1930 et 1931, au moment où la crise atteint la France.
Emile Mathis a le sens du marché. Comme Peugeot, constatant d'une part la disparition de la 5 CV Citroën et la fin prochaine de la 6 CV Renault NN et, d'autre part, la montée en puissance et en dimension des Citroën, il joue la sécurité en lançant fin 1927 l'étude d'une petite 6 CV moderne tout en envisageant des "Super Mathis" qu'un marché revigoré semble pouvoir absorber. Les conducteurs veulent dorénavant du confort, du silence et des carrosseries vastes et bien équipées, donc lourdes. Pour éviter d'avoir à changer de vitesse trop souvent et pour réaliser de bonnes moyennes, la solution passe par les multicylindres très souples sur le modèle des voitures américaines. Fin 1927, Mathis propose donc une 11 CV 6 cylindres légère, qui, en évoluant vers le haut, est produite jusqu'en 1931 en devenant une 14 CV, complétée d'une 3 litre 17 CV, type FON, au moteur calqué sur un groupe 6 cylindres Continental américain. Cette même année 1931, Mathis aborde la 8 cylindres avec un type qu'on peut qualifier d'expérimental, car il résulte en fait d'un assemblage. Sur un châssis FON 17 CV allongé de 265 à 350 cm d'empattement, Mathis installe un moteur 8 cylindres Continental (86 x 114 mm, soit 5,3 litres) taxé pour 30 CV. Présentée comme la "Super Mathis" type KFON, elle est produite à quelques exemplaires, dont un coupé présenté par Mme Mathis en concours d'élégance. Il semble que cette 30 CV soit une sorte de ballon d'essai, car la littératures la concernant est aussi rare que les documents autres que ceux montrant le coupé de Mme Mathis.

    

Proposée à 95.000 francs, soit le prix d'une Delage D8, la Super Mathis est très mal positionnée sur un marché déjà menacé. Mais le constructeur corrige vite le tir en proposant l'année suivante de nouvelles 8 cylindres dotées d'un moteur Mathis plus raisonnable. La gamme va se compliquer sérieusement en 1932. Le nouveau moteur Mathis reprend les cotes d'alésage de la PY (mêmes pistons) et de course de la 9 CV MY4 (mêmes bielles et mêmes machines d'usinage de vilebrequin), soit 69,85 x 99,5 mm donnant une cylindrée de 3.049 cm3, taxée à 17 CV. Ce "8 en ligne" à soupapes latérales, très proche des groupes américains de ce type, est alimenté par un carburateur Zénth-Stromberg inversé dernier cri. Cette première Emy 8 va être déclinée en quatre versions, selon les cotes d'empattement et de voie du châssis. Le client peut ainsi choisir entre les types HYP (275 x 130 cm) et HYM (305 x 130 cm) et les types FOH sur 315 ou 335 cm d'empattement et 138 cm de voie dans les deux cas. Cette variété peut être obtenue sans trop diversifier les fabrications, car de nombreux organes sont communs : outre le moteur et la boîte dite :"SynchroBiflex", à 3 ou 4 rapports, la direction, les ressorts, les amortisseurs (réglables depuis la planche de bord), les freins (hydrauliques) sont identiques.

    

En 1932, Mathis décline encore le châssis FOH en proposant une version de ce moteur portée à 3,5 litres par augmentation de l'alésage à 75 mm, ce qui permet d'offrir cinq types d'EMY 8. La même année, Mathis catalogue aussi une 23 CV à moteur Continental (8 x 117 mm, soit 4,7 litres), dont on ignore si elle fut réellement vendue. Car la période n'est pas favorable aux grosses cylindrées, même pour les marques les plus prestigieuses. L'excessive diversification de l'offre en 8 cylindres démontre assez que le marché est très restreint. A partir de 1933, seule l'Emyquatre et les TY et PY trouvent preneurs. Mathis se lance alors dans des études de prototypes à deux puis quatre roues indépendantes, tout en préparant son rapprochement avec Ford, qui lui apportera un V8 fiable.

PY
Ni meilleure ni pire que ses contemporaines de même catégorie, la Mathis PY est restée dans l'histoire comme "la voiture qui a étonné l'Amérique". Elle n'a été "malgré elle" que l'instrument d'un boursicoteur en fin de carrière : William Crapo Durant.
Entrepreneur génial, William C. Durant peut revendiquer avoir été une fous l'inventeur et deux fois le patron de la Général Motors, même si ses méthodes relevaient du libéralisme le plus débridé au point que ses pairs en capitalisme trouvèrent qu'il allait "un peu loin". Le "coup de la Mathis américaine" est une de ses dernières pirouettes.

Fasciné comme beaucoup d'autres constructeurs européens par les volumes de la production américaine en 1928 et 1929, Emile Mathis se rend aux Etats-Unis à l'été 1930 en emportant deux exemplaires d'un nouveau type prévu pour être lancé au prochain Salon de l'Automobile de Paris, la 6 CV Type PY. Conçue dans une période faste pour l'industrie automobile et pour Mathis, la PY est pourtant une petite voiture économique très comparable à la 201 de Peugeot. Ce sont des voitures populaires de nouvelle génération à vocation utilitaire, dotées de mécaniques simples et sûres, dépourvues de tout caractère sportif et proposées en majorité sous forme de conduite intérieure quatre portes. En cela, dès 1928, Mathis a vu juste et sa 6 CV va lui sauver (provisoirement) la mise quand la crise née à Wall Street en novembre 1929 va frapper la France en 1931-1932. Le vrai marché automobile n'est plus celui du luxe et du sport et les grands entrepreneurs, s'ils conservent parfois des types de luxe à leur catalogue comme Mathis, savent bien avant la crise qu'il vaut mieux proposer en France de modestes 4 cylindres de 6 à 11 CV maximum s'ils veulent survivre.

La nouvelle 6 CV produite dans les usines modernes de Strasbourg n'a rien de révolutionnaire. Elle conservent les solutions Mathis : châssis léger à cadre entier, quatre ressorts semi-elliptiques, quatre amortisseurs et quatre freins. Pour la première fois, la boîte de vitesse n'offre que 3 rapports pour deux raisons : coût inférieur à une "4" et facilité de conduite au quotidien grâce au bon rapport puissance/poids de la PY, qui permet de conserver la "prise" au maximum. Le moteur Mathis, qui possède un vilebrequin à trois paliers parfaitement équilibré, mais plus coûteux qu'un deux paliers, tourne sans vibrations en donnant l'impression d'un moteur de voiture de luxe. Très bien refroidi, il est résistant à l'usure et silencieux. Ses accélérations sont qualifiées de "foudroyantes" car sa 2e longue l'emmène à 60 km/h, performance rare en 1930 pour une 6 CV. La grande innovation, en option jusqu'au millésime 1931 compris, en série après, concerne les freins hydrauliques système Lockheed, une première sur une voiture économique qui a retenu l'attention des partenaires américains. En cela, Mathis précède Fiat et Citroën. Grâce à son châssis surbaissé, la PY présente une bonne tenue de route. Elle est proposée en berline (quatre portes), coach (deux portes), coupé, cabriolet et roadster. La torpédo a disparu, signe des temps.

Grand ami de Mathis, le journaliste Charles Faroux se répand en louanges dans les pages de sa revue La Vie Automobile dès l'été 1930 après l'annonce de l'accord avec Durant. On imagine déjà les Mathis envahissant les routes américaines et les publicités Mathis en France exploitent largement le contrat américain. En fait, Durant, dont le volume de vente de la seule marque qui reste de son empire s'écroule en 1930 et 1931, n'a monté cette affaire Mathis que pour attirer des investisseurs échaudés par le Krach de 1929. Il ne peut ignorer que la PY est invendable sur le marché américain : trop petite, trop peu puissante, elle n'atteindra jamais des cadences qui permettraient d'en réduire le coût de production. Cette annonce d'un modèle bon marché en plein marasme des affaires et un gros investissement personnel de Durant permettent de soutenir provisoirement le cours des titres de Durant Motors. Le "truc" ne suffira pas. Mais la PY, proposée aussi avec un moteur dit Continental de 1.226 cm3 sous la désignation PYC, va faire une belle carrière en France malgré la dureté des temps, avant d'être déclinée pour 1932 en une 5 CV, la TY, au moteur plus petit (905 cm3), qui lui survivra jusqu'en 1935, même après l'union avec Ford.

American Mathis Inc.

C'est le 19 août 1930 qu'un contrat est passé entre Mathis SA, représentée par Emile Mathis, et William Crapo Durant, président de la société Durant, déjà en très grande difficulté. Une société American Mathis Inc. fut fondée pour distribuer les voitures type PY qu'allait construire Durant. Un volume de 100.000 American Mathis fut annoncé et une certaine presse, probablement généreusement stipendiée, s'enthousiasma pour le projet, qui retomba comme un soufflé. Dès le mois d'octobre, American Mathis précisait que "dès que la situation économique se trouvera suffisamment rétablie, la société américaine, mise provisoirement et prudemment en sommeil, sera reprise". L'effondrement du dernier empire de Durant mit un terme définitif au projet.

FORD

Depuis 1933, Mathis est en pourparlers avec Ford, dont les envoyés ont évalué favorablement les capacités de Strasbourg. Emile Mathis réussit là une opération exceptionnelle. En s'associant à Henry Ford, qui a plutôt l'habitude de créer directement des filiales étrangères au lieu de racheter des firmes en difficulté, Mathis donne naissance en septembre à la société Matford. C'est sous cette nouvelle marque que doivent sortir les nouveaux modèles, issus des Mathis et des modèles plus luxueux d'origine Ford. En pratique, seuls les types américains survivent jusqu'en 1939 pour reparaître en 1946 sous la marque Ford France.