CES HOMMES QUI ONT FAIT L'AUTOMOBILE     

Dernière mise à jour : 18/05/2010

    Lucien D'Ieteren - 1880/1966    

L'autre empereur du style italien

Implantée à Bruxelles depuis 1805, avant même ma naissance du Royaume de Belgique, la maison D'Ieteren aborde la construction de carrosseries automobiles dès 1897. Devenue un des premiers carrossiers européens, la firme réussit sa reconversion dans les années cinquante.

Pierre et Lucien d’Ieteren

Jean-Joseph D'Ieteren (1785/1832)

Né aux Pays-Bas en 1785, Jean-Joseph D'Ieteren s'établit comme charron à Bruxelles dès 1805. Outre le charronnage, la menuiserie et la fabrication de roues constituent alors l'essentiel de son activité. Sis au coin des rues du Marais et de la Blanchisserie, son atelier ne tarde pas à aborder la construction hippomobile. A la veille de la révolution de 1830, la carrosserie D'Ieteren s'est déjà signalée par la qualité de ses réalisations.

Adolphe et Alexandre D'Ieteren

Après la mort prématurée de Jean-Joseph en 1831, ses deux fils Adolphe et Alexandre poursuivent son oeuvre. La firme prend alors la dénomination de D'ieteren Frères. En 1857, Alexandre se sépare de son frère et fonde la firme Alexandre D'Ieteren. Ses deux fils, Alfred et Emile, montrant des dispositions suffisantes, Alexandre D'Ieteren les associe à ses affaires en 1872. Cette nouvelle association donne naissance à la Alexandre d'Ieteren et Fils. Des travaux pour la construction du boulevard du Nord, futur boulevard A. Max, poussent les Ieteren à quitter leur entreprise. Expropriés, la famille d'Ieteren entamen la construction de nouvelles installations à Bruxelles, Chaussée de Charleroi. Dès cet instant, la renommée de la société se trouve déjà fermement établie.

Alfred et Emile D'Ieteren

Depuis la retraite d'Alexandre, vers 1878, les deux fils de ce dernier dirige l'entreprise qui a été rebaptisé D'Ieteren Frères. Vers 1894, les deux frères s'intéressent à l'automobile, nouveau moyen de transport. Ils seront les premiers à proposer des carrosseries spécifiques pour cette nouvelle venue, tout en gardant la partie hippomobile active. Très impliqués dans la Chambre Syndicale Belge de la Carrosserie et des Industrie Annexes, fondée en 1896, les frères D'Ieteren jouent un rôle de premier plan au sein de leur corporation. En 1897, D'Ieteren livre un Dog-Cart électrique à la Compagnie Générale des Transports automobiles, une société fondée et animée par Camille Jenatzy, l'homme qui le 1er mai 1899 franchit pour la première fois le cap des 100 km/h à bord de sa Jamais Contente. Bien que la carrosserie du célèbre bolide ne doive rien à D'Ieteren, la renommée du sportsman à la barbe rousse rejaillit on ne peut plus favorablement sur les ateliers de la Chaussée de Charleroi. Outre les carrosseries fournies à Jenatzy pour habiller ses voitures électriques, la société travaille alors pour de nombreux constructeurs belges, tels Germain, Minerva, Pipe et Vivinius. Sa renommée franchit les frontières. Au cours des premières années du siècle, les meilleurs châssis européens viennent se faire habiller chez D'Ieteren.

Lucien D'Ieteren (1880/1966)

En 1902, Lucien débute son activité professionnelle au sein de l'entreprise. Fils d'Alfred D'Ieteren, il deviendra la clé de voute de l'entreprise jusqu'au milieu des années 60. En attendant, l'activité de l'entreprise grandit. En 1905, lors des cérémonies célébrant le 75e anniversaire du Royaume de Belgique, D'Ieteren fournit un landau de gala à la cour. Il est tout naturel qu'une maison de cette importance vint à l'automobile. Les bâtiments devenants trop petits, la firme déménage une nouvelle fois pour s'installer dans des nouveaux locaux au 50 rue du Mail à Ixelles, disposant désormais de 4.000 m2.

Limousine sur châssis Excelsior, pour le roi Albert 1er

Prise en main par Lucien

A la veille de la Première Guerre mondiale, la carrosserie automobile a définitivement supplanté la carrosserie hippomobile. La déclaration de guerre, puis l'occupation de Bruxelles et de la majeure partie du territoire belge, constituent évidemment une période noire pour la société. La paix revenue, Lucien devient le principal animateur de l'entreprise familiale. L'autre fils, Albert, quitta la société au lendemain de la guerre et fonda sa propre entreprise. Etablie à Bruxelles, la carrosserie Albert D'ieteren habilla de nombreux châssis de grand luxe. L'entreprise de Lucien devient alors les Anciens Etablissements D'ieteren, une société anonyme.

Berline d'Ieteren sur châssis Panhard 1902 du roi Léopold II
Avec beaucoup d'à-propos, Lucien D'ieteren entrevoit alors la possibilité de donner aux activités de la carrosserie une dimension semi-industrielle. Cette politique passe par l'acquisition et l'exploitation d'un certain nombre de brevets. Dès 1922, D'Ieteren acquiert ainsi la licence des carrosseries transformables Gustave Baehr. En ce milieu des années vingt, la conduite intérieure n'a pas encore supplanté la torpédo. Il existe donc un marché pour une carrosserie susceptible de concilier les avantages de la voiture découverte et de la voiture fermée. Quelques temps plus tard, D'ieteren achète la licence des procédés Weymann. La société bruxelloise se tourne ensuite vers les carrosseries en alliage léger brevetées en France par Jean de Vizcaya. Hélas, à partir de 1930, la crise économique et le déclin irrémédiable de l'industrie automobile nationale conduisent les dirigeants de l'entreprise à envisager de nouvelles activités.
A la fin des années vingt, D'Ieteren était un des rares carrossiers européens à connaître une renommée mondiale. De 1924 à 1929, l'entreprise produisit pas moins de 1.000 carrosseries. Le mérite en revient à Lucien D'Ieteren. Avec une lucidité digne de toutes les éloges, il entrevoit que les beaux jours de la carrosserie sont désormais comptés. Tandis que bien des concurrents s'entêtent dans une voie désormais sans issue. D'Ieteren comprend que son salut passe maintenant par l'assemblage et la distribution. Lorsque la crise de 1929 s'installe, la société est atteinte de plein fouet, et la concurrence est déjà bien installée. A cette époque, la surface de la rue du Mail est passée à 10.000 m2 et 700 ouvirers y travaillent. Dans un premier temps, D'Ieteren prend en charge la distribution des Studebaker, mais aussi des Rolls-Royce et des Auburn. il s'agit là d'un premier pas. En 1935, Lucien décide d'arrêter une activité qui depuis 125 ans a fait la fierté de quatre générations de D'Ieteren. Les ateliers de carrosserie sont transformés en atelier de montage de camions et voitures Studebaker. Grâce à cette décision, il parviendra à maintenir l'emploi dans ses ateliers.

projet de Coupé de Ville sur châssis Minerva

Projet de Coupé-limousine

Minerva carrosserie d'Ieteren vers 1930

Reconversion

Le bâtiment de la rue du Mail en 1966

Pierre D'Ieteren (1912/1975)

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, cette voie continue d'être explorée. En 1945, la cinquième génération, représentée par Pierre D'Ieteren, fils de Lucien, entre en jeu. Pierre est entré dans la société en 1936, après un long séjour aux Etats-Unis. Il s'est initié aux méthoces modernes de management. En 1945, il est nommé administrateur directeur de D'ieteren Frères. La firme poursuit le montage des Studebaker. Un an plus tard, Pierre va s'investir dans un projet qui sera déterminant pour la société.

Pierre D’Ieteren (1912-1975)

A la fin du conflit, le Foreign Trade a le contrôle de la firme Volkswagen de Wolfsburg. Elle cherche alors des candidats pour l'importation de la petite Volkswagen Coccinnelle. Il peut paraître inopportun, à cette époque, de s'intéresser à l'importation d'un des symboles du nazisme, mais la Volkswagen, créée par Ferdinand Porsche selon la volonté du chancelier Hitler, est une voiture populaire à la portée de tous. Pierre D'ieteren va prendre en charge la représentation de la voiture en Belgique. Les ateliers de la rue du Mail deviennent insuffisants pour accueillir cette nouvelle activité. En 1947, une première succursale est ouverte à Charleroi. En 1948, une seconde succursale est ouverte à Liège. D'Ieteren signe un contrat avec Volkswagen et devient le deuxième importateur de la marque allemande au monde, après Ben Pon, importateur hollandais, futur créateur du Combi. L'histoire contemporaine de D'ieteren commence alors. Devenue importateur exclusif de Porsche, l'entreprise prend en charge la fabrication des Volkswagen dans sa nouvelle usine. De suite, D'Ieteren s'empresse de rendre les Volkswagen plus attrayante dans son usine de la rue du Mail. Les voitures reçoivent des pare-chocs et des enjoliveurs chromés, et des sièges recouverts de housses plus accueillantes. Le succès est immédiat. En 1948, 969 Coccinelles sont importées en Belgique.

Expansion toujours

L'usine du Mail devient une nouvelle fois trop petite. En septembre 1948, une nouvelle usine sort de terre, à Forest, non loin de Bruxelles. Des dizaines d'hectares sont tranformés en un complexe de 14.000 m2. En 1949, alors que l'usine n'est pas encore achevée, la première Studebaker sort de l'usine. La cadence passera rapidement à 10 voitures par jour.
Si la Volkswagen est la voiture la plus vendue en Belgique, pour le bonheur de D'Ieteren, le début de l'importation des Porsche marque une nouvelle histoire à succès pour l'entreprise. Les D'Ieteren ont réussit leur pari. En 1952, l'usine de Forest sera agrandie, pour accueillir la production de la petite Volkswagen. Le 11 février 1954, la première "Cos" sort des chaînes de montage. 7.498 véhicules sortiront ainsi au cours de l'année. Preuve du succès, la 25.000ème Cox verra le jour en 1956. L'usine, en 1957, s'étend sur 50.000 m2 et produit 120 véhicules par jour.
En 1963, D'Ieteren rachèe les Etablissements Albert, spécialisés dans la location de voitures. Cette nouvelle activité fait de la firme l'un des leaders du marché européen de la location. Lucien s'éteint cependant en 1966, et avec lui s'achève une ère pour D'Ieteren.
Aujourd'hui, la SA D'Ieteren constitue plus que jamais un des acteurs majeures de l'industrie automobile en Belgique.