CES HOMMES QUI ONT FAIT L'AUTOMOBILE     

Dernière mise à jour : 18/05/2010

    Louis Renault - 1877/1944    

L'homme-usine

Désespérant les uns, enthousiasment les autres, introverti et possédé par l'exercice de son métier jusqu'à oublier certaines conséquences, Louis Renault reste le patron le plus controversé de toute l'histoire industrielle de la France.

Ennemi de toute approche théorique des problèmes, méfiant envers les ingénieurs diplômés que l'affrontement avec les réalités n'ont pas encore rodés, entêté comme tous les vrais pionniers, Louis Renault n'a pu rester à la direction de ses usines que parce qu'il en avait le contrôle financier absolu. Jamais charbonnier n'a été maître chez lui que le monarque absolu de Billancourt.

Louis Renault naît le 12 février 1877 à Paris au sein d'une famille négociante d'origine terrienne issue de la région de Saumur. Cet atavisme le conduira à investir sans cesse dans les biens immobiliers et à constituer d'impressionnants bas-de-laine qui lui apportent sécurité et moyens d'agir. Jeune étudiant à Condorcet, il décroche vite des études secondaires et des abstractions et ne s'intéressent qu'aux progrès nés de la révolution industrielle : machines, chemins de fer, électricité et premières automobiles. Gamin, il a rôdé près de l'atelier de Léon Serpollet, pionnier de l'automobile à vapeur, qui l'a initié à cette technique. Les études l'ennuient donc et son intelligence s'applique tout naturellement à la conception d'appareils et de dispositifs d'avant-garde, comme l'éclairage électrique, qu'il rêve d'installer dans la propriété de campagne de la famille située à Billancourt. A 15 ou 16 ans, il construit un canot à vapeur et passe tous ses loisirs à bricoler dans un atelier qu'il a aménagé dans un coin du parc.
Seul, il y apprend à tourner, braser, forger en lisant tous les ouvrages pratiques qu'il peut trouver. Sans hésiter, il prévient ses frères, successeurs de son père. qu'il ne s'intéresse pas au commerce des boutons pourtant florissant. Il entre chez Delaunay-Belleville alors qu'il a déjà pris un brevet pour un générateur de vapeur instantané. Mais il doit faire son service militaire , réduit à un an dans son cas. En 1897, il achète un tricycle De Dion et, en 1898, après avoir conçu une boîte de vitesses avec prise directe, il se construit une voiturette en trois mois.

Le véhicule fonctionne et plaît à ses amis, qui passent commande. Début 1899, une société en nom collectif "Renault frères" est fondée. Louis a obtenu l'accord de ses frères, qui apportent les capitaux, lui-même étant salarié et directeur des études et des fabrications. L'aventure commence et tout est prévu en cas d'échec. L'automobile est encore une hypothèse commerciale et les moyens de louis Renault sont dérisoires. Il propose même son invention à des constructeurs établis. En vain. Alors il se met au travail, recrute, agrandi l'atelier et sort 79 voiturettes la première année. Une production considérable à l'époque. Les journées son longues, les semaines de sept jours insuffisantes. L'affaire croît dans une fièvre inimaginable. La demande se révèle considérable et l'industrie est inorganisée pour faire face. Louis Renault investit tout, achète des machines, organise le travail et essaie d'éviter les fourches caudines de ses fournisseurs, tendance qu'il cultivera toute sa vie en déposant tous les brevets qu'il pourra tout en contournant s'il le peut ceux des autres. Il a 22 ans et une énergie énorme, un caractère entier, et sa décision prise, il fait plier tout le monde. Il pilote en course avec talent et gagne de grandes épreuves qui établissent la notoriété de la marque. Résultat : une expansion inespérée et, neuf ans après ses débuts d'amateur, sa fortune est évaluée à plus de 8 millions. Il possède un hôtel particulier, un yacht, des terres et produit plus de 3.000 voitures en 1907. Il est déjà chevalier de la Légion d'honneur.

L'énergie qu'il a déployée dans tous les domaines (conceptions, fabrication, organisation industrielle et commerciale, acquisition de moyens) est inimaginable. Il a aussi connu ses premiers conflits sociaux. En 1906, une grande grève frappe les usines automobiles. Comme ses collègues, Louis Renault ne cède pas sur les salaires et un fossé se creuse définitivement entre la direction et les ouvriers. Quand il introduit le chronométrage dans certains ateliers en 1907, le bonus est d'abord bien accepté, mais l'extension maladroite du système et la faiblesse des avantages pour les ouvriers conduisent à de nouvelles grèves en 1913. Louis Renault doit accepter la nomination de délégués du personnel.
Entre 1914 et 1918, la guerre fera de Louis Renault un géant industriel, mais retardera la modernisation de ses productions civiles. Il s'enferme alors dans un conservatisme technique qu'il tente de justifier sans convaincre, alors que de nouveaux concurrents font progresser l'automobile et sa diffusion. Capable d'amortir la crise de 1931-1932 par ses seules ressources, il s'isole, freine l'innovation qui l'inquiète et cherche à produire en autarcie, tandis que sa santé vacille.

La Seconde Guerre mondiale en fait un rouage essentiel de la mécanisation de l'armée, puis un serviteur résigné de l'effort de guerre allemand. Conserver la mainmise sur ses usines, retenir son personnel et ses machines, accumuler des ressources pour l'après-guerre le poussent à faire du zèle. Il paiera cette soumission dont il n'a pas mesuré les conséquences. Bien qu'il ait aussi trompé délibérément l'occupant, l'importance de sa production le condamnera, dans un contexte troublé où la vengeance n'est pas totalement absente. Son décès mystérieux le 24 octobre 1944 en témoigne, et la justice devra renoncer à conclure en connaissance de cause. face à un personnage aussi complexe et à une carrière aussi vaste, les historiens ont encore du grain à moudre.