Le 10 mars 1844, Amédée Bollée père voit le jour. Fondeur de cloches, il sera l'un des premiers à construire une automobile.
Les origines de la famille Bollée sont anciennes; intéressantes. On retrouve les traces d'une famille de fondeurs de
cloches portant ce nom vers 1715. A l'époque, les Bollée sont principalement des itinérants qui s'arrêtent au pied
des chapelles, des églises ou des cathédrales, pour fondre des cloches à la demande. Pour ce faire, ils creusaient
des fosses et construisaient des fours sur place. Il faut se dire qu'à cette date, le transport des cloches n'étant
pas des plus évident et qu'il était plus simple de tout faire sur le lieu d'installation.
En 1838, les chemins de fer se sont développés et de ce fait, le transport de cloches est devenu beaucoup
plus aisé. De ce fait, la profession se sédentarise et quelques artisans vont
s'implanter. C'est le choix que font deux membres du clan Bollée, qui sont
devenus des fondeurs de cloches comme l'était leur grand-père. Le premier se
nomme Jean-Baptiste-Amédée Bollée (1812-1912). Il choisit, durant l'hiver
1838-1839 de passer l'hiver dans le village de Oucques. Il déménagea ensuite
pour s'installer à St-Jean de Bray, près d'Orléans. Le second se nomme
Ernest-Sylvain Bollée.
Les ancêtres
Ernest-Sylvain Bollée (1814-1891), revenant de Haute-Marne, s'installe à La Flèche en 1839, puis à
Angers. Suite aux inondations du Loir, il déménage une nouvelle fois pour
s'implanter cette fois à Sainte-Croix, à trois kilomètre du Mans. C'est là qu'il
construit son premier four, rue Sainte-Hélène. Il sera mis en fonction en
novembre 1842.
A Saint-Jean de Bray, l'entreprise de Jean-Baptiste-Amédée Bollée se développe. A sa mort, c'est le
fils Georges (1849-1930) qui prit la succession, puis le petit-fils Louis (1878-1954),
l'arrière petit-fils Jean et enfin Dominique, l'arrière-arrière petit-fils. Une
affaire de famille qui perdure encore aujourd'hui au Mans.
Ernest-Sylvain Bollée,
lui, ne va pas se contenter de la fabrication de cloches pour vivre. Ses
ambitions sont plus ouvertes et en 1857, il se procure un brevet d'invention
pour un bélier hydraulique. Il fait également l'acquisition du brevet français
de l'éolienne. Jamais à court, il concevra également des locomotives à vapeur
et, idée originale, des détecteurs de retour pour les pigeons voyageurs. C'est
donc une entreprise en pleine essor qu'il possède en 1860. A cette époque,
Ernest-Sylvain tombe gravement malade et doit préparé sa succession.
Progressivement, il va déléguer la marche de ses affaires à ses trois fils.
Succession
En 1884, Ernest-Sylvain prendra la décision de céder définitivement son
entreprise à ses fils. Pour ce faire, il séparera son bien en trois part.
Amédée-Ernest (1844-1917), le plus âgé des fils de Ernest-Sylvain, héritera de la
fonderie de cloches, activité principale de l'entreprise familiale. Ernest-Jules
héritera de la production des béliers hydrauliques dans de nouveaux locaux
implantés rue des vignes. Enfin, le plus jeune des fils, Auguste-Sylvain Bollée
(1847-1906), prendra le contrôle de la fabrique d'éolienne. Ce dernier, revendra
cette affaire en 1898 pour devenir peintre.
Mais revenons en arrière. Dans l'entreprise familiale, chaque fils à son
occupation et dirige une partie du patrimoine. En 1867, Amédée-Ernest et
Ernest-Jules sont à la tête de deux entreprises actives. Avant la séparation de
ces biens par Ernest-Sylvain, Amédée aura déjà passer de belles années à
révolutionner l'automobile. C'est notre histoire.
A la même époque, l'entreprise de Saint-Jean de Bray gérée par les oncles et cousins est elle aussi
en pleine expansion.
L'automobile
En 1867, Amédée-Ernest arpente les allées de l'Exposition Universelle de Paris en
annonçant fièrement la naissance de son premier fils, Amédée Junior. En
parcourant les stands, il tombe en admiration devant une machine étonnante, un
"véhicule à vapeur". A ce moment, Amédée Bollée se découvre une nouvelle
vocation. Il deviendra constructeur d'automobiles.
A cette époque, les britanniques sont les seuls à s'aventurer dans la construction
de machines roulantes dédiées au transport de personnes. Ce sont le plus souvent
des diligences motorisées et on est encore loin des automobiles du début des années 1900.
Si Cugnot est reconnu comme le premier à avoir construit une voiture à traction mécanique mue par la vapeur,
ce sont donc les anglais qui permirent à l'industrie routière de se développer.
En France, Amédée sera le premier à construire une voiture à traction mécanique
à usage individuel et familial.
C'est à l'âge de 12 ans qu'Amédée Junior entra comme apprenti dans l'usine familiale. A 29 ans, il
hérite de la direction de l'entreprise et dispose d'une renommée internationale
dans la fonderie de cloches. Grâce à son esprit inventif, son approche
scientifique, il développe l'entreprise et devient un industriel important de la
Sarthe. Lorsqu'il découvre l'Omnibus à vapeur de l'exposition Universelle, son
côté curieux et sa passion pour la technique le pousse à en savoir plus sur
cette étonnante mécanique. Cette machine, qui regroupe sa mécanique à l'arrière,
est bien différent des tracteurs lourds, lents et encombrants, peu maniables que
l'on connaît jusqu'alors; Destinés au transport collectif ou au transport de
charges lourdes, ses engins sont souvent rejetés par la population qui trouve
dangereux l'usage de ces engins. Mais Amédée Bollée songe à tout autre chose.
Son idée est de développer une voiture à vapeur facile à conduire, sûre,
silencieuse, propre et rapide pour son usage personnel, tant personnel que
familial. Il est encore loin de penser qu'il mettra un jour son talent à la
disposition d'une éventuelle clientèle. En partant de son concept novateur, il
débute l'étude de sa future machine.
L'Obéissante
Après la naissance en 1870
de son second fils Léon, Amédée Bollée se construit un petit atelier dans la maison de son père et
commence à réfléchir à son futur projet. Après la fabrication d'armes pour les besoins de la guerre,
l'entreprise familiale a repris la fabrication de cloches et cette activité toujours rentable permet
à Amédée de disposer d'un temps précieux pour s'adonner à ses recherches. En marge de son usine,
il reprend la construction de sa première automobile et dès l'automne 1872, ses premières études
et ses premières esquisses donnent naissance à "l'Obéissante". En 1873, sa
machine est quasiment terminée. Il teste la voiture en transportant une dizaine
de personnes et les essais sont convaincants. Pour réaliser sa machine, Amédée a du
résoudre quelques problèmes qui l'amenèrent à inventer des solutions
novatrices. Ainsi, il invente une boite de vitesse et les roues indépendantes.
Il recrée également l'avant-train à deux
pivots avec braquage différentiel d'après un système breveté en 1816 et tombé
dans l'oubli. La direction est alors constituée de chaînes enroulées sur des
pignons elliptiques, ce qui permet à la roue intérieure de pivoter davantage et
d'offrir un braquage géométriquement correct. Un brevet sera déposé. G^race à ce système, Amédée
vient de créer le premier véhicule équipé de deux roues avant directrices qui pivotent aux extrémités d'un essieu
fixe dont l'orientation varie en fonction de la courbe. Avec l'adoption des roues suspendues
indépendamment les unes des autres, il réduit considérablement les cahots.
Pour la mécanique, Amédée à opter pour deux moteur à vapeur bicylindre en V à 90° compacts. La
chaudière verticale de type Field est à grand rendement et peu encombrante.
Chaque moteur 20 HP est affecté à une roue. Avec une consommation de 360 litres
d'eau pour une autonomie de 25 km, la voiture atteint les 40 km/h. Autre innovation : Amédée
adopte un principe qui sera la base même de l'automobile moderne. En effet, il dispose les organes
de commandes de la machine autour du volant. Tous les organes de régulation sont à portée de main du conducteur.
Le chauffeur, à l'arrière, n'a plus qu'a s'occuper de veiller à maintenir la pression de la vapeur.
Les essais concluants poussent
Amédée à solliciter les autorités préfectorales pour obtenir l'autorisation de circuler. Caillaux, ministre
des Travaux publics en poste à l'époque, est impressionné par la machine et accorde à son créateur
l'autorisation de se servir de sa voiture dans cinq département choisis. Il doit juste, avant chaque trajet,
respecter certaines dispositions énoncées dans la loi relative "aux inconvénients pouvant résulter de la
fumée ou des escarbilles lancées soit par la chaudière, soit par le cendrier". La protection de l'environnement
était-elle déjà une préoccupation ? Parmi ces dispositions, Amédée doit
prévenir, trois jours avant chaque déplacement, un ingénieur du département et
lui fournir le détail de l'itinéraire emprunté. Amédée obtient sa son bon de
sortie le 21 mai 1873 et de ce fait, dispose de la première autorisation de
circuler accordée à un automobiliste et sa machine.
L'Obéissante pilotée par Amédée, accompagné de ses frères et ce même véhicule aux Musée des Arts et Métiers.
1874 - 1875
L'année 1874 sera consacrée aux essais. Grâce à ses autorisations, Amédée peut
parfaire la mise au point de sa voiture en roulant dans le département de la
Sarthe. D'abord carrossée en break découvert, "l'Obéissante" devient tapissière
avec toit et rideaux latéraux pour davantage de confort. Pratiquement au point,
Amédée peut alors envisager d'étendre sa popularité en montrant sa voiture au
public parisien et songer à son avenir.
En 1875,
Amédée obtient l'autorisation de se rendre à Paris à bord de sa voiture. Il va
donc parcourir les 230 km qui sépare Le Mans à la Capitale à bord de
"l'Obéissante", s'arrêtant à chaque entrée de département pour faire monter à son
bord un agents des ponts et Chaussées chargé de vérifier les déclarations du
conducteur et noter l'itinéraire à suivre impérativement sous peine de
contravention. malgré son autorisation de circuler et la présence à bord d'un
fonctionnaire, il récolte sur l'ensemble du voyage pas moins de 75
contraventions de la part d'une maréchaussée incompréhensive. Parti le 9
octobre, il mettra 18 heures pour relier la capitale. Arrivé à Paris, sa voiture
s'intègre aisément dans la circulation intense des voitures hippomobiles. Son
silence de fonctionnement surprend une foule étonnée et surprise. Dans l'édition
du Figaro du 17 octobre 1875, on peut lire ces quelques lignes :
"C'était une voiture à vapeur ne faisant aucun bruit, s'arrêtant subitement,
allant à droite et à gauche et tournant sur elle-même avec une merveilleuse
précision. Les chevaux de tous les équipages qui sillonnaient l'avenue
paraissaient bien un peu surpris, mais aucun n'était effrayé."
Le Préfet de Police de Paris, bien qu'hostile au départ envers ce type d'engin,
testa lui-même "l'Obéissante" sur les boulevards parisiens. Il en descendra ravi.
La machine d'Amédée Bollée fera l'objet d'un rapport élogieux à l'Académie des
sciences, rapport qui souligne ses qualités pratiques et envisage qu'avec
quelques perfectionnements, ce type de véhicule sera aussi facile à conduire
qu'une voiture à cheval. Grâce à Amédée, le concept de l'automobile
personnelle vient de naître. Avec l'arrivée du moteur à combustion interne,
vingt ans plus tard, il deviendra réalité.
1876 - Bollée, Dalifol et Le Cordier
Le succès de "l'Obéissante" apporte à son concepteur une notoriété qui se confirme avec
l'arrivée de plusieurs commandes. Un certain Mr Dalifol lui propose même de réaliser un
tramway pour la Compagnie des Omnibus de Paris. Ce tramway doit pouvoir accueillir
une cinquantaine de passager. Il sera assemblé dans les ateliers de Dalifol selon les plans
dessinés par Amédée. Sur ce projet, de nouvelles innovations vont apparaître, comme
les quatre roues motrices et directrices, la transmission par arbres transversaux
à cardans et un système qui permet à la machine de sortir de ses rails pour se
déporter afin d'éviter un éventuel obstacle imprévu. Ce principe est d'ailleurs
repris de nos jours sur les nouveaux tramway équipant certaines villes en
France. On a rien inventé. Bien qu'innovant, le tramway ne rencontrera pas le
succès espéré.
Le tramway Dalifol
Au cours de son voyage à Paris, Amédée Bollée avait également fait la connaissance
de Léon Le Cordier. Ce dernier désire inaugurer une ligne de transport public en
Normandie et réussit à convaincre Amédée de lui céder une licence d'exploitation
de "l'Obéissante". Si ce projet ne va pas, une nouvelle fois, à son terme, Le
Cordier garde toutefois le contact avec son nouvel ami. Il se charge alors de
faire connaître les machines du Sarthois.
1878 - La Mancelle
Amédée, de retour au Mans, s'investit à nouveau dans la construction de ses
machines à vapeur. Si la fonderie de cloches continue sa production avec succès,
elle perd doucement du terrain face au exploits techniques réalisés par les
oncles et cousins travaillant à Saint-Jean-de-Braye. Toutefois, elle apporte à
Amédée des revenus satisfaisants lui permettant de se consacrer à sa nouvelle
passion.
Attribuant l'échec commercial de "l'Obéissante" à son poids excessif, Amédée
décide de concevoir un nouveau modèle, plus léger et carrossé en Victoria. Cette
fois, la machine sera destinée à un usage strictement privé. Baptisée "La
Mancelle", la voiture voit le jour en mars. Simple, elle pèse 2.750 kg et comme
"l'Obéissante", sa chaudière est placée à l'arrière. Elle actionne des pistons
moteurs placés à l'extrême avant du véhicule. Un arbre de transmission court,
situé sous la voiture, attaque un différentiel grâce à des engrenages coniques,
imprimant ainsi un mouvement à des demi-arbres reliés aux roues par chaînes. Les
roues avant sont indépendantes, un système perfectionné et déjà utilisé par
Amédée. Les suspensions sont simples puisque inexistantes. Pour alimenter la
chaudière, un réservoir d'eau est placé sous les sièges avant. Prête à prendre
la route, Amédée obtient une autorisation de circuler en ville et voit son
premier client se présenter.
La Mancelle
Un client de renom : Isaac Koechlin
Isaac Koechlin est un gros industriel de la région de Willer en Alsace. Le 26
juillet 1878, il rencontre Amédée lors de l'exposition Universelle et lui
commande un exemplaire de "la Mancelle". Amédée, de retour au Mans, se met au
travail et livre la voiture à son client en Alsace le 6 mai 1879. A l'époque,
Koechlin débourse 12.000 francs pour "la Mancelle". Toutefois, il a oublié une
chose très importante. N'ayant pas entendu parler d'automobiles avant sa
rencontre avec "la Mancelle", Isaac n'est pas au courant qu'il faut une
autorisation pour pouvoir circuler sur les routes. Aussi, il demande à Amédée de
lui fournir une copie de l'autorisation fournie par la Préfecture du Mans afin
d'en obtenir une de la part de sa Préfecture. Une fois le document en main,
Koechlin pourra circuler sur les routes d'Alsace et des Vosges. Cette "Mancelle"
restera plus de 20 ans au sein de la famille d'Isaac. Dans la famille Koechlin,
dont le représentant le plus connu est sans doute Maurice, ingénieur de Gustave
Eiffel et très impliqué dans le projet de la tour parisienne au point d'être
parfois désigné comme le vrai père de cet édifice, on trouve des membres très
proche de l'industrie automobile. La famille, très proche de Peugeot par
alliance, comptera deux pilotes pour la marque sochalienne, Paul et Isaac Jr.
Deux autres descendants, Alfred et Hubert, seront tout simplement constructeurs.
1879 - Sté Fondatrice
Le Cordier fonde la "Société Fondatrice" pour exploiter les voitures à vapeur
d'Amédée. Prenant contact avec l'attaché en France du gouvernement autrichien,
il obtient l'autorisation de faire une démonstration devant l'empereur
François-Joseph. Le jour dit, Amédée pilote "la Mancelle" devant la cour et les
représentants du pays. C'est un vrai succès et une tournée nationale est
organisée. Puis, une société autrichienne est créée le 12 juin pour construire
des Mancelles miniatures. Malheureusement, et très vite, la société autrichienne
rompt l'accord passé avec Bollée et Le Cordier et cède les droits d'exploitation
à une société allemande dirigée par l'héritier d'une famille de banquier, Berthold Arons,
propriétaire entre autre de la Gebrüder Arons. Suite à cette
cession, un nouvel accord est signé entre la banque, la société de construction
de locomotives Wöhlert et la Société Fondatrice. Des essais sont programmés pour
le mois de septembre.
Pendant ce temps, Amédée se
concentre sur la construction de la "Marie Anne", un train routier imposant
commandée par la Société Métallurgique de l'Ariège. La locomotive est une six
roues dont quatre sont motrices. Développant 100 HP, elle est capable de tirer
un train de 80 tonnes. La chaudière verticale est située à l'arrière de la
locomotive et actionne les pistons-moteurs placés à l'avant. Une série d'arbres
de transmission engrènent des demi-arbres transversaux qui commandent les roues
au moyen de chaînes. Derrière la locomotive, le tender transporte l'eau et le
charbon pour le ravitaillement. Si les passagers bénéficient de plus de place,
le bruit de la machine est, cette fois, assez gênant. Le niveau sonore est si
élevé que le conducteur à l'avant de la machine doit utiliser un tube
acoustique, comme sur les bateaux, pour communiquer avec le chauffeur placé à
l'arrière. Les essais, devant se réaliser à Aix-en-Ariège, c'est par la route
qu'Amédée part livrer sa machine. Le trajet depuis Le Mans se passe sans soucis
mais demande beaucoup de haltes pour s'approvisionner. C'est alors l'occasion
rêvée pour les nombreux curieux qui se pressent alors pour admirer ou voir
passer l'engin. Au cours du voyage, de nombreux paysans quitteront leur champ
pour venir aider au ravitaillement ou aux manoeuvre de la "Marie-Anne". Dans
chaque hameau, village ou ville traversés, la foule se presse pour escorter l
machine. Arrivé à destination, Amédée effectue sa démonstration officielle
devant les délégués des Ministères des travaux publics et de la guerre qui
feront un rapport plus que favorable à leurs supérieurs.
1880
Toujours très actif, Amédée voit sa société croître. Cette embellie lui
permet de construire une nouvelle usine sur des terrains acquis à côté de
l'usine familiale. C'est dans ses nouveaux locaux, achevés en février, qu'il
construit "L'Avant-Courrière", un omnibus issue de "la Mancelle". Cette machine de
30 HP a été commandée par la Compagnie des Eaux de Lacaune. Avant de rejoindre
sa destination, elle sera testée avec succès à Paris.
Parallèlement, Amédée construit "La Nouvelle", une conduite intérieure à six
places, version très améliorée de "la Mancelle". On retrouvera cette voiture,
quinze ans plus tard, parmi les concurrents du Paris-Bordeaux-Paris de 1895.
La Nouvelle
Au mois d'août, pendant
qu'Amédée s'agite dans sa nouvelle usine, Le Cordier se rend à Berlin. Il
doit y assurer de nouvelles démonstrations de "La Mancelle" et de
"l'Elisabeth", la soeur jumelle de la "Marie-Anne", devant la famille impériale.
Le succès est de nouveau au rendez-vous et se concrétise par la création de la
Dampwagen Centralgesellshaft, une entreprise chargée d'exploiter les brevets
Bollée en Allemagne. Amédée, conserve ses droits pour la France et la
Grande-Bretagne.
1881
Après avoir construit une autre mancelle pour un
client allemand qui cette fois, prendra soin de le payer, Amédée construit à la fin de l'année une
voiture légère carrossée en break six places. Cette voiture est destinée à son second frère Auguste.
Baptisée "La Rapide", elle atteint les 50 km/h de moyenne mais approche parfois les 60 km/h. Deux
autres "Rapide" seront ensuite construites, avec toutefois quelques corrections qui effaceront les
petites imperfections du premier modèle.
La Rapide
1883 - La chute de la Société Fondatrice
Le Cordier est en
difficulté. La Société Fondatrice est au plus mal et l'argent que devait verser
la société Dampwagen Centralgesellshaft n'arrive pas. Depuis trois ans, Le
Cordier n'a rien touché malgré le succès de la quinzaine de "Mancelle"
construite en Allemagne. Le banquier allemand a organisé des services réguliers
dans le pays, mais aussi en Autriche, en Suède et en Russie, mais, trop en
avance sur son temps, l'euphorie connue lors des premiers mois d'utilisation est
vite retombée. Avec le temps, le succès s'est transformé en échec commercial.
Tous les espoirs s'effondrent et le banquier est ruiné. La Compagnie Wölhert,
qui assurait l'entretien du matériel, est liquidée. La Dampwagen Centralgesellshaft
sera également dissoute en 1884. Le Cordier a tout perdu et c'est grâce à ses
fonds personnels qu'il réussira à sauver sa situation. Epongeant les dettes de
la Société Fondatrice, il la transformera en Sté Normande d'électricité.
La mésaventure de Le Cordier
touche évidemment la petite entreprise d'Amédée Bollée qui se retrouve dans une
situation critique. Son père vient une nouvelle fois à son secours mais son
frère n'apprécie pas trop cette situation. Ce dernier trouve qu'Amédée coûte
trop cher à l'entreprise familiale avec ses idées d'automobiles. Pour faire
régner le calme et éviter un conflit interne, Ernest-Sylvain décide de céder
complètement l'entreprise à ses fils. Amédée hérite donc de la fonderie de
cloches qu'il dirigeait jusqu'alors. Libre et à l'abri désormais des conflits
familiaux, il va pouvoir s'adonner à ses travaux, la fonderie assurant, par ses
bénéfices, les pertes de son entreprise automobile. Amédée décide de
s'orienter vers la construction d'engins utilitaires et construit un nouveau
tracteur qu'il baptise "La Julia". Cette machine est destinée à un propriétaire
d'une carrière de la Sarthe.
1885 - Une retraite bien méritée
Amédée Bollée travaille désormais avec son fils, Amédée Junior. Ce dernier, comme son père,
est désormais très impliqué dans le travail de son père. Tous les deux, ils construisent un mail-coach pour le
marquis de Broc, une commande qui se chiffre à 35.000 francs-or (160.000 euros
de nos jours), une somme qui à
l'époque, réserve l'automobile à quelques privilégiés fortunés. Ce véhicule à
vapeur, de 16 places, est le premier au monde à développer une puissance de 50
Ch. Une fois
acquise, le marquis
obtiendra une autorisation de circuler restrictive. Ce document implique qu'il
ne pourra utiliser son véhicule qu'entre son domicile principal sarthois et son château de Clefs, situé entre Angers et Tours.
Ce mail-coach sera la dernière réalisation d'Amédée père et sûrement la
première d'Amédée Bollée fils. Usé et fatigué par
cette aventure automobile, Amédée-Ernest s'occupera désormais uniquement de l'avenir de sa
fonderie de cloches, travaillant sur l'acoustique et sur les carillons
électriques. La passion est transmise. Amédée junior, puis Léon, sauront
profiter de l'héritage de leur père et feront une belle carrière comme
constructeurs. Le troisième fils, Camille, restera discret. Amédée Junior, et
surtout Léon, seront toujours à l'écoute de leur père et suivant ses conseils,
abandonnent vite la vapeur pour la motorisation essence.
1895 - Paris-Bordeaux
Le 10 juin 1898, une course est organisée entre Paris et Bordeaux. Les grands constructeurs de
l'époque, comme Panhard, Peugeot et Benz, sont présents au départ. Parmi les
véhicules inscrits, on trouve la "Nouvelle" construite en 1881 par Amédée Bollée père. En
1894, Amédée Bollée fils avait constaté que la motorisation essence arrivait en force et
que les "vaporistes", dont il faisait encore partie, se trouvaient face à une sérieuse
concurrence. Dans cette optique, il a déjà entreprit quelques études et des essais
qui devraient lui permettre de franchir le pas. mais il doit imposer ces idées novatrices
et surtout, se faire un nom. L'engagement de la "Nouvelle" n'avait aux yeux d'Amédée
Bollée père
qu'une valeur rétrospective.
La "Nouvelle" a déjà fait ses preuves et a encore des choses à prouver.
Face aux nouvelles Peugeot ou Panhard, dotées de moteurs à combustion
interne, la voiture à vapeur d'Amédée fait figure de
grand-mère. Le jour du départ, d'autres machines à vapeur sont au rendez-vous,
prêtes à s'élancer vers Bordeaux. Après 48 heures et 48 minutes de
course, alors qu'Amédée est encore très loin, la Panhard et Levassor dotée d'un moteur Phénix franchit
en premier la ligne d'arrivée, mais, elle était hors compétition car ne possédait que deux places
alors que le règlement de la course stipulait et exigeait un minimum de quatre places.
C'est donc la seconde à l'arrivée, la Peugeot Type 5 de Rigoulot,
dotée elle aussi d'un moteur Daimler, qui remporte le Premier Prix.
Derrière, on trouve deux autres Peugeot, pilotées par Koechlin et Doriot, la Benz de
Thun, les deux Panhard de Mayade et Boulanger et la Benz de Roger. Derrière ces
huit voitures à moteur à combustion interne, on trouve "La Nouvelle" d'Amédée
Bollée, seule rescapée de toutes les machines à vapeur engagées. Un chiffon oublié sur un coussinet
cassa un engrenage et la réparation fit perdre de nombreuses heures. Malgré tout, la voiture parvint
à établir plusieurs meilleurs temps entre les points de contrôles. Arrivée au bout
de 90 heures et 3 minutes, elle permet aux Bollée de sauver l'honneur des vaporistes.
La vapeur vient de subir un terrible revers face à la supériorité du
moteur Daimler. Pour suivre le rythme imposé par les Panhard et les Peugeot, les
chaudières furent poussées au maximum. Elles se grippèrent chacune leur tour au
fil des kilomètres et seule la "Nouvelle" parvint au terme de l'épreuve.
Amédée père saura jauger la situation et peut se réjouir d'avoir conseillé à ses
fils, dix ans plus tôt, de poursuivre leurs travaux dans la voie du moteur à
combustion interne plutôt que dans la vapeur. Un conseil qui sera bien entendu et permettra aux deux jeunes hommes
de mener une carrière bien remplie. Amédée père, contrairement à d'autres
constructeurs comme Serpollet, avait bien senti le vent tourner.
Usé et fatigué, la maladie aura raison d'Amédée Bollée qui
s'éteindra le 20 janvier 1917, à l'âge de 73
ans.
Pour en savoir plus sur les deux fils d'Amédée Bollée,
Amédée et Léon,
je vous invite à lire les pages spéciales dédiées à
ces deux hommes dans la partie Encyclo43. Cliquez sur l'un des icônes ci-dessous.
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