DIVERS SUJETS SUR L'AUTOMOBILE
Dernière mise à jour : 05/05/2010
Les taxis de la Marne

L'épisode des "Taxis de la Marne" a donné lieu à
de nombreux récits, plus ou moins proche de la vérité. Voici la véritable histoire de ces fameux
véhicules qui sauvèrent Paris de l'invasion des troupes allemandes pendant la Première
Guerre mondiale.
Septembre 1914 - Inventaire
En septembre 1914, les Allemands ont franchi la Marne et sont positionnés sur
une ligne qui va de Crépy-en-Valois à Meaux, en passant par Betz, Etavigny,
Lizy-sur-Ourcq. Paris est donc en danger. Face à l'ennemi, les
forces françaises sont un peu éparpillées et le regroupement des différentes
armées est difficile. Elles sont stationnées du nord de Nanteuil à Meaux, face
aux allemands. L'objectif des généraux est d'entamer une progression vers l'Est
afin d'opérer une offensive et stopper les forces allemandes avant qu'elles ne
parviennent aux portes de la Capitale. Pour réaliser cette offensive, Gallieni tente
de regrouper ses troupes depuis le 1er septembre.
La situation au 5 septembre n'est pas évidente. Le
Géneral Maunoury attend des troupes venant de la troisième armée mais ces
dernières tardent. Une division, la 8e, a embarquée le 2 septembre dans un
train venant de Vienne-Ville et de Ste-Menehould. Le 3 et 4 septembre, ces
troupes sont à Pantin et doivent se rendre sur les hauteurs de la rive droite du
Grand Morin, ou sont stationnées les troupes anglaises du maréchal French.
Une autre division, la
7e, embarque avec retard le 3 septembre en Argonne. Elle est ralentie par deux
accidents, un tamponnement et un déraillement entre Troyes et Montereau. Un
premier convoi n'arrive à Noisy-le-Sec que le 6 septembre au soir, mais le
débarquement des troupes durera jusqu'au 7 au soir, avec 48 heures de retard.
Une fois rassemblés, les hommes prennent position à Gagny-Villemomble. C'est
dans cette zone qu'ils vont attendre de nouveaux ordres et les véhicules qui
les mèneront au front.

Pendant ce temps, la 6e armée poursuit le combat, et forme une ligne allant de Penchard à Acy.
Une lourde contre-attaque allemande venant d'Etavigny fragilise cependant cette ligne de défense.
Le 7, l'ennemi harcèle les français sur le côté gauche et tente une percée. A 13 heures, Maunoury donne l'ordre d'envoyer des renforts.
C'est le point le plus fragile et il faut absolument trouver un moyen d'y amener de la troupe
afin de contrer cette avancée.
Les forces en place, épuisées, ne tiendront pas longtemps avant de reculer sous la pression des allemands.
En fin d'après-midi, les forces de la 7e division reçoivent l'ordre de faire route vers Thury et Mareuil-sur-Ourcq
afin de renforcer la ligne.
L'infanterie, qui vient de passer deux jours en chemin de fer, après 12 jours de marche et de combats, est épuisée.
Elle doit désormais accomplir 60 kilomètres supplémentaires pour renforcer les troupes en place. Pour l'Etat-major, cette
opération doit prendre 48 heures. S'il existe bien une ligne de chemin de fer, cette dernière n'est pas sure. On craint d'éventuelles
destructions. Le capitaine Lepetit, délégué auprès de la commission du réseau du nord doit négocié avec l'ingénieur en chef
du réseau. Il obtient la promesse que des trains seront acheminés vers Nanteuil.
Cependant, totalement désorganisés, les chemins de fer
ne garantissent pas la bonne exécution des ordres reçus. Une autre solution doit donc être rapidement trouvée pour acheminer
les troupes. Il faut se rappeler que depuis le 3 août 1914, date du déclenchement de la guerre, l'armée française est
confrontée à de graves problèmes logistiques. Les trains régimentaires des
corps de troupe et les wagons de ravitaillement de division tardent à se
constituer. Les voies sont souvent détruites par l'artillerie ennemie. Les réparations sont longues et
les stocks de wagons et de locomotives dispersés. Lorsque Galliéni reçoit
l'ordre de protéger la capitale, les allemands ne sont qu'à trente kilomètres de Paris.
L'idée
Le général Gallieni, alors gouverneur de Paris, dispose de 6.000 hommes, mais
son parc automobile est très limité, avec seulement deux cent cinquante véhicules.
Ce
capital roulant est très insuffisant pour transporter tous les renforts
disponibles. Il
lui en
faudrait cinq fois plus pour atteindre au plus vite la ligne de front. De plus,
ces renforts sont
dispersés. Se dirigeant vers l'est, ils sont freinés dans leur progression par
des problèmes de logistiques, les chemins de fer étant très mal organisés. Il
faut les regrouper pour former un convoi plus homogène. Dès le
1er septembre, prévoyant, Galliéni avait déjà donné l'ordre de préparer la réquisition
de tous les véhicules disponibles et en état de marche, y compris les taxis-autos, et se tenait
informé régulièrement du nombre de véhicules dont il pourrait éventuellement en
cas de besoin pour transporter munitions, vivres et soldats. L'heure était
arrivée, il allait utiliser ce parc automobile pour organiser ses convois.
Suivant ses directives, la direction des transports avait créé une réserve permanente de taxis-autos, tenue nuit et
jour disponible dans les garages de trois compagnies les plus importante de la
Capitale, la Compagnie Générale des voitures à Paris G3, Autoplace G7 et Kermina
Métropole G2. Fixé à 150 véhicules, cette réserve pouvait être triplé en 12 heures grâce à des mesures spéciales mises
en place.
Ils eurent l'occasion de prouver leur utilité le 2 septembre, lorsque 180 de ces taxis transportèrent des vivres aux forts de la région de Gonesse,
de Saint-Denis et de Stains.
Le 3 septembre, 62 taxis servirent de convois régimentaire à une brigade de fusiller marins pour rallier le fort de Pierrefite.
Ces deux convois permirent de se rendre compte que l'automobile est encore le
moyen le plus rapide pour organiser un convoi et pour acheminer hommes et
matériels. Galliéni retiendra cet épisode.
Situation sur le front
Le 5 septembre donc, la première armée allemande placée sous les ordres d'Alexander von Kluck
est très avancée dans les lignes françaises. Joffre sait qu'en attaquant sur
les flancs, il pourrait isoler totalement les hommes de Kluck du reste de l'armée. La
contre-attaque doit donc être lancée rapidement pour enrayer la progression
de l'ennemi, créer un encerclement et stabiliser le front. Mais pour y arriver, il lui faut des
hommes, beaucoup d'hommes, 12.000 au moins. Il faut donc trouver une solution
pour acheminer rapidement des renforts à Nanteuil le Haudouin, au nord-est de Paris,
où doit avoir lieu l'offensive. Une partie des hommes disponibles est en cours
de transfert et est acheminée par le train mais il reste encore à trouver une solution pour les 6.000 hommes qui restent
en réserve.
C'est le général Clergerie qui est chargé de gérer cette opération et qui obtient le feu vert du général Gallieni pour
réquisitionner les taxis parisiens. Cette réquisition prend effet le 6
septembre à 20 heures. Voyons comment tout ceci s'est déroulé.
A 20 heures, un officier du 1er bureau est convoqué au Lycée Duruy, poste de commandement du gouverneur à Paris. Sur place,
on note la présence de Gallieni, du colonel Girodon et du général Clergerie, chef d'état major. Ce dernier prescrit de mettre
en ordre toutes les autos disponibles pour transporter les 6.000 hommes d'infanterie
disponibles vers les points stratégiques pour
une offensive visant à faire reculer l'ennemi. Il fait également remarquer que le seul groupement
automobile constituant le parc de l'armée est parti
pour Bordeaux afin de constituer la réserve ministérielle et qu'il ne dispose plus que de 250 voitures de tourisme
à Paris, toutes pourvues de conducteurs
militaires. Ce parc s'avère insuffisant pour réaliser l'organisation du transport de troupe
qu'il envisage pour sauver la capitale.
Après une courte discussion, le mot "taxi" est prononcé. L'idée de les réquisitionner
pour l'opération est alors soumise et étudiée, puis adoptée. C'est Gallieni qui tranche et
qui annonce :
"Vous avez carte blanche, pourvu que ce soir, avant minuit, le premier convoi sorte de Paris." L'opération
"Taxi de la
Marne" vient d'être déclenchée.
Le premier bureau estime à 1.200 le nombre de véhicules nécessaire pour cette
opération qui doit rester secrète. Or, sur Paris, et sur les 10.000 taxis que
comptait la ville avant le conflit, 7.000 sont inutilisés suite à la mobilisation des conducteurs. Les 3.000
taxis restants sont
dispersés dans Paris, conduits par des chauffeurs hors d'âge militaire. Ce sont ces chauffeurs qui
seront convoqués pour sélection et devront être
réquisitionnés, et toutes les instructions sont alors transmise par téléphone
pour les rassembler au plus vite. 1.200 seront retenus.
Pendant ce temps, la préfecture de police doit faire rentrer dans ses dépôts tous les taxis qui circulent, contacter les compagnies et
leur donner l'ordre d'équiper ces voitures et de les mener aux Invalides, point de rassemblement
désigné.
La direction de l'intendance doit de son côté faire transporter aux Invalides de quoi nourrir pour deux jours les 1.200
chauffeurs. Ce
qui sera mis en place après le départ du premier convoi.
Le détachement du train doit lui, équiper et mettre en route toutes les voitures en dépôt avec chauffeurs militaires, officiers et gradés d'encadrement.
A 22 heures, les taxis commencent à se rassembler aux Invalides. Une première colonne est formée sous les ordres des lieutenants Lefas et Lachambre.
Composée de 250 taxis de la réserve permanente, elle est complétée par les 200 premiers taxis arrivés sur l'esplanade.
Rapidement, elle se met en route vers Tremblay-les-Gonesse pour recevoir de nouveaux ordres. Le premier convoi est en route, comme
l'avait demandé Galliéni. Ces 200 premiers taxis partiront cependant sans les
rations prévues par l'armée, pas encore arrivées au point de rassemblement.
Auparavant, les généraux eurent l'idée de réquisitionner d'autres véhicules pour
acheminer une demi-division d'infanterie
sur l'Ourcq. Dirigé par le capitaine Roy, ce convoi rejoindra au court de la
nuit la colonne de Lefas et Lachambre.
Après le départ du premier convoi, les taxis continuent de se
masser aux Invalides. Le 7 septembre à 13 h, un nouvel ordre est
donné. Désormais, ce sont tous les taxis parisiens qui sont concernés par la
réquisition. La direction des Transports équipe alors de nouveaux taxis dans
l'urgence.

Place des Invalides, les taxis se rassemblent
avant le grand départ vers le front.

Mobilisation et Victoire
Cinq heures après l'ordre de la réquisition générale, à 18 heures le 7 septembre,
ce sont 1.000 taxis qui se masse sur l'Esplanade des Invalides pour
former un nouveau convoi. Un convoi de 700 taxis s'élance alors vers Gagny, lieu
de rendez-vous pour charger les fantassins des 103e
et 104e régiments. Cette opération, baptisée "Taxi-auto", sera entourée du plus
grand secret mais le transfert des troupes n'est pas des plus discret. Les
parisiens auront tout le plaisir et l'étonnement de voir passer cette colonne de
taxis vides dans les rues de la capitale, sans savoir qu'il s vont jouer un rôle
déterminant dans la sauvegarde de la capitale. Le mot d'ordre est "vite" et il
faudra 48 heures pour réaliser cette opération
très originale. Deux voyages aller/retour seront nécessaires pour accomplir cette
mission, un taxi ne chargeant que cinq soldats avec leur barda par voyage.
Mais revenons aux convois commandés par les lieutenants Lefas et Lachambre. Ils ont roulé tous feux éteints
et ont convergé vers Tremblay-les-Gonesses, où le rendez vous a lieu le lendemain à 2 heures du
matin pour recevoir de nouveaux ordres. Au cours de la nuit, ils ont été rejoint
par un autre convoi
d'autos militaires, celui du capitaine Roy, soit 250 voitures conduites par des
chauffeurs militaires. Ces voitures sont de tous modèles et voisinent avec des
cars multiplaces du type alpin. A Tremblay-les-Gonesses, le poste de commandement à déménagé
depuis le 6 au matin pour s'installer à Compans et seul l'Etat major est encore sur place,
sans ordres la suite de l'opération et concernant le convoi. A 4 heures du matin, le gouverneur de
Paris, que l'on parvient à joindre, donne ses instructions. Les véhicules
doivent désormais rejoindre la route de Mesnil-Amilot à Villeneuve-sous-Dommardin pour y attendre de nouveaux ordres.
En pleine nuit, le convoi composé cette fois d'une seule colonne fait manoeuvre
dans cette direction. Le 7, au petit matin, il stoppe sur la route de Nanteuil, à
peine dissimulé sous les arbres et sous un ciel totalement dégagé, à la vue
d'éventuels avions ennemis. Par chance,
aucun d'eux ne viendra traîner dans les alentours.

Derrière les hommes de
troupe, on aperçoit les taxis qui ont mené ces hommes au front.
Longue attente
L'attente au bord de la route est longue pour le premier convoi de Lefas,
Lachambre et Roy. Les chauffeurs sont impatients
et sont descendus des véhicules, formant des petits groupes et échangeant leurs impressions
sur la situation,
certains remettant en cause la légitimité de la réquisition instaurée par
l'armée. De plus, le bruit des
canons proches sème un certain malaise et provoque quelques inquiétudes. Les officiers, constatant
ce climat tendu, et
reconnaissant tout bas que les revendications concernant la réquisition est
justifiée, tentent de rassurer les plus inquiets et les plus grincheux. Pour ces
derniers, prêts à faire demi-tour car envisageant le pire, les officiers doivent
être plus convaincants et l'un d'eux d'ailleurs en viendra même à menacer de
faire démonter les moteurs des véhicules de ceux qui songeraient à rebrousser
chemin, de mettre les voitures en panne pour ne pas les laisser à l'ennemi, forçant le chauffeur à rentrer à pied. Grâce à cette annonce,
les plus hésitants sont remis en place. La tension sera cependant plus détendue
après le passage heureux d'un escadron de
cavalerie commandé par le récent promu général De Mitry. Se dirigeant vers Nanteuil, ce
défilé inattendu calme les humeurs du convoi. Pour
calmer encore la situatiion, le lieutenant Lefas a réquisitionné auprès d'une
intendance voisine des vivres, permettant aux chauffeurs de se caler l'estomac. Dans l'après midi
enfin, de nouveaux ordres arrivent avec le général Laude,
directeur des transports. Il est accompagné de camions chargés de vivres,
d'huile, d'essence et de pneus. Des voitures dépanneuses sont aussi du convoi,
avec mécaniciens et outils de réparations. A 17 heures, l'ordre de se diriger sur Sevran-Livry est
annoncé. Deux bataillons du 104e régiments
embarquent alors à bord des taxis qui prennent la route à 20 heures, tout feux
éteints, vers le Plessis-Belleville, puis, à 1 kilomètre au sud de Nanteuil ou
la troupe est débarquée.
Le convoi de Laude
Dans la matinée du 7 septembre, la direction des Transports a continué d'équiper de nouveaux taxis.
C'est cette colonne que les parisiens verront passer et qui marquera tant les esprits.
En route vers Gagny,
elle y chargera par échelons les trois bataillons du 103e régiment d'infanterie et les
mènera jusqu'à Silly-Le-Long.
En route, elles retrouvent la colonne de Lefas et Lachambre qui se dirige vers
Nanteuil. Une fois au Plessis-Belleville, les taxis retournent à Gagny
pour un autre voyage et charger d'autres soldats. Pour ne pas gêner la progression des convois montants
qui passent par Villeneuve les Dammartin, les voitures redescendent sur Gagny en
passant par Claye Souilly. Elles remontent ensuite par la route initiale de
Villeneuve. L'opération est mené à bien le 8 septembre au matin.
Pendant ce temps, les 101e et 102e régiments, transportés par le train,
débarquaient à leur tour et sans incident au Sud de Nanteuil. De ce fait, le 8 septembre, la 7e division
dans son intégralité peut
déboucher sur Nanteuil et scinder en deux colonnes, monter au front de Nanteuil-Ognes, appuyée par toute
son artillerie et celle du 4e corps qui avaient fait la route de nuit.
Cet apport de troupe fut décisif mais aussi heureux. En effet, dans la soirée du 7
septembre,
l'ennemi fit une percée au Sud de Betz. Grâce à son armée sur place, des ordres
adéquats, le général
Maunoury pourra regagner le terrain perdu. La 7e division soutiendra la gauche
de l'armée française et combattra l'ennemi dans un rude combat. Le soir du 9
septembre, la France
remporte la victoire de l'Ourcq. Elle épargne au pays
l'occupation de la capitale et sans doute une inévitable reddition. L'armée
allemande touchée sur son flanc droit est alors obligée de reculer. Kluck est
battu et se retire.

Ce défilé en plein jour
frappera fort l'imagination des Parisiens et le récit de certains sera
immédiatement colporté et très amplifié, donnant naissance à la fameuse légende.
Mais malgré cette grande médiatisation et l'impacte psychologique sur la
population, cet événement n'a eu qu'un effet minime sur la bataille de la
Marne.
Il faut donc relativiser
l'importance qu'ont eu les taxis de la marne dans la bataille. S'ils ont
convoyé l'équivalent d'une division, le commandant en chef des armées françaises,
le maréchal Joffre disposait déjà de 79 divisions, alors que l'ennemi n'en
possédait que 75 au début de la bataille. De plus, l'entrée en guerre des
Russes a grandement contribué à ce succès. Intervenue à ce moment précis, elle
a obligé les Allemands à se séparer en catastrophe de précieuses divisions pour
les dépêcher sur le front de Prusse orientale.

Ambiance
Si l'expérience du transport en automobile
des troupes à prouvé son efficacité, elle ne se fit pas sans difficultés,
surmontées avec panache par les différents officiers chargés de la mise en place
de cette opération. Malgré sa totale
improvisation, elle s’est déroulée dans des conditions optimales, sans
aucun accident grave. L'embarquement des soldats fut sans doute le passage le plus laborieux, se faisant de nuit.
Irrégulier, il nécessita beaucoup pus de temps que prévu. Chaque taxi devait normalement embarquer quatre hommes
et un sur le siège avant. Cependant, certains "parigots", plus malins que les autres, trouvèrent moyens de s'installer
plus confortablement à deux ou à trois. Ce qui provoqua bien évidemment quelques bousculades. Le convoi, lui, fut décousu,
puisque totalement improvisé et très peu encadré. De plus, les chauffeurs ne sont pas des militaires et l'habitude
d'une certaine indépendance est incompatible avec la moindre discipline. On verra même certains chauffeurs doubler d'autres
véhicules du convoi en empruntant les bas-côtés de la route. On pourra également voir parfois des taxis rouler par trois de front,
monopolisant la totalité de la chaussée.
Quelques pannes furent aussi de la partie, à cause de moteurs fatigués ou du manque d'essence. Ils pourront repartir grâce aux voitures
dépanneuses. On peut aussi parler de quelques pannes imaginaires de la part de chauffeurs peu emballés à l'idée de monter
vers la ligne de front et ses dangers. Il faudra une certaine fermeté de la part des gradés en place pour rétablir un peu d'ordre.
Revenu de Nanteuil à Gagny, un deuxième voyage sera nécessaire pour emmener toute la troupe. Malgré la possibilité de s'éclipser
à la faveur de la nuit, aucun des chauffeurs ne se fera prier pour faire un second trajet avec un nouvel équipage. Tous montreront de la bonne volonté
de la bonne volonté pour une nouvelle randonnée. S'ils montrent tous de l'aptitude à se débrouiller, ils montreront une
grande résistance à la fatigue. En effet, ces hommes d'âge auront assuré un service ininterrompu de 48 heures.
Ce courage sera relevé par le général Laude qui, dans un ordre du jour affichés dans tous les garages des compagnies, souligne :
"le zèle et l'esprit de dévouement patriotique dont les chauffeurs de taxis-autos ont fait preuve". Le lieutenant Lefas, lui, sera
cité pour "avoir maintenu par son autorité et son tact, l'ordre et la discipline dans un convoi composé dans sa totalité d'hommes libérés
de toute obligation militaire et mis en route sans avis préalable et presque sans vivres".
Les chauffeurs rentrèrent à Paris le 8 septembre, mais certains, peut-être séduits par l'aventure et la curisioté si
connue des parisiens, resteront sur place pour rendre quelques menus services et accepter quelques missions militaires.
C'est à cette occasion que le chauffeur Lambert se couvrira d'honneurs. Nous en parlerons plus tard.
Louis Renault
Cette formidable aventure, qui met l'automobile au premier plan et l'impose pratiquement comme
un véhicule primordiale pour l'armée, va permettre à cette dernière de franchir une nouvelle étape et de
se moderniser plus rapidement. Les chevaux seront désormais
de moins en moins utilisés, la cavalerie légère remplacée au fil du temps par des automobiles
légères blindées et armées. Les premiers chars vont constituer de nouveaux
régiments et les compagnies de soutien et de logistique vont se doter de camions
de différents tonnages, reléguant aux oubliettes les carrioles et divers
attelages. Le premier à bénéficier de cette modernisation de l'armée est Louis Renault.
Dès la fin de la bataille de la Marne, la Direction des services automobiles au armées
commande aux usines des voitures de tous types, pour le service postal, la reconnaissance. Elle
commande également des véhicules dotés de projecteurs et des voitures transportant des
groupes électrogènes. On verra également des voitures de liaison, des ambulances et des transports
de troupe. Une affaire en or pour Billancourt.

"Anecdotes"
Comme nous l'avons dit, si les taxis parisiens demeurent les héros incontestés de cette bataille,
et notamment le taxi Renault connu sous l’appellation "AG 1", les
chauffeurs de taxis y sont pour beaucoup. Ces derniers ont fait preuve de
patriotisme, même si quelques-uns ont rechignés à la besogne. Tous ont été
au bout de l'opération malgré la fatigue. certains d'ailleurs, ont eu un comportement héroïque. On citera le cas
d'Etienne Germain, chauffeur du taxi-auto numéro 1198-6-2, de la compagnie
Kermina-Metropole.
Etienne Germain venait de conduire un officier qui rejoignait son régiment sur la ligne de feu.
Sur place, il accepta d'aller en avant du front pour chercher des soldats blessés près de Tracy-le-Mont. C'est avec un simple caporal-infirmier qu'il se met alors en route. A mi-chemin,
les deux hommes sont surpris par les allemands et doivent reculer sous le feu de l'ennemi.
Etienne fera marche arrière, couvrant la retraite avec son taxi et le tir du caporal.
C'est avec un véhicule ciblé d'impacts de balles qu'il arrive à se sortir de ce guêpier, ramenant
avec lui le jeune caporal. Pour ce fait héroïque, il sera cité à l'ordre du jour.
Une autre anecdote concerne la prix de l'opération. Les 1.500 taxis requis pour emmener la troupe au combat
furent rémunérés au tarif officiel. Chaque chauffeur reçut donc 10 centimes pou 250 mètres parcourus. Compte tenu du
fait que chaque voiture devait charger 5 soldats, il bénéficièrent toutefois du tarif 2. L'armée paya donc 70.102 francs
au final, soit 46,73 francs par taxi.
Le dernier survivant de ces chauffeurs de la Marne fut Kléber Berrier.

A la Libération, les taxis survivants utilisés par diverses administrations, reprendront la vie
civile, retrouveront les couleurs de leurs compagnies et reprendront la
maraude dans les rues de la capitale, en attendant la relève. Près de 1.000
taxis sont alors disponibles. Afin de renouveler la flotte existante, le Comité
d'organisation de l'automobile lance un concours en vue d'étudier un véhicule
spécialement conçu pour le taxi, comme en Grande-Bretagne. Cinq candidats sont
retenus, mais le projet ne verra pas le jour.
mais c'est une autre histoire....
L'expérience tentée en ce début
septembre 1914 fut un prélude à la "noria" de Verdun. Cette grande organisation
qui fit rouler par milliers des camions le long de la voie sacrée contribuera
plus tard à sauver la forteresse.